Le cinéma bourgeois n’en a toujours pas fini avec le film choral. Après la politique du panel provincial de Selon Charlie de Nicole Garcia, Le Héros de la famille s’enfonce dans les coulisses du showbiz niçois (la Côte d’Azur, une destination chérie, cf. La Californie, Riviera). Patron d’un cabaret en bout de course, un vieux transformiste (Brasseur) met fin à ses jours, laissant un beau bordel derrière lui. C’est qu’elle l’a fait exprès la grande folle : son fils spirituel, un Sylvain Mirouf avec des poils (Lanvin) croyait hériter du gourbi ? Erreur : ses enfants, pas intéressés, récoltent le cadeau et veulent vendre. Mais qui sont-ils, ses enfants ? Une journaliste froide en apparence mais sensible en dedans, un comptable homo qui fait la tronche parce que son père lui file des boutons (tu comprends pas que tu l’aimes ?). Un détail : les progénitures ont une mère chacune. Tandis que la fille a Miou-Miou tient une cave à vin (ça créé du mouvement, un commerce au cinéma), le fils se coltine Catherine Deneuve, aventurière hargneuse que le reste de la famille ne peut pas voir en peinture.
Autant Garcia aime butiner, autant Klifa aime démêler. Le film est drôle pour ça, parce qu’il a toujours peur de manquer. Alors il meuble : une exposition par-ci, un hommage par là (avant, Thierry Klifa allait en projection presse pour Studio Magazine), une petite scène onirique (ah, l’oeil qui frise du fantôme de Claude Brasseur). Mais de mouvement, de progression dramatique, d’évolution psychologique, niet. Klifa se contente de rééquilibrer son équation, c’est-à-dire accorder le même temps de parole à chacun et couper les personnages en deux. Ce qui implique deux illustrations opposées, donc, deux scènes, donc une bobine tournée. Prenons Catherine Deneuve : elle débarque, mystérieuse, après tout le monde. Puis elle éperonne Miou-Miou, ex-rivale d’un temps révolu mais encore douloureux (côté garce) avant de pactiser pompette, une flûte de champagne à la main (côté tendresse). Culture Studio oblige, les stars règnent en invitées monarchiques. Tel Patrick Sabatier dans Avis de recherche, Klifa leur dit merci, leur tend des bouquets de roses, reconstitue leurs heures de gloire. A Deneuve toujours, il exhume le boudoir de Belle de jour (« Luis, si tu nous regardes »). Il enregistre fébrilement Béart au micro (« applaudissez Emmanuelle, notre star glamour nationale »). Ainsi de suite…
Autant de formules poussives qui ne prêtent pas à conséquence. Car Le Héros de la famille n’est pas antipathique dans le sens où il ne parvient pas à être pris pour un film, même s’il le prétend, bien sûr (notamment quand son auteur trentenaire filme des conversations entre femmes mûres ou quand il montre la souffrance d’un vieux beau has been). La comparaison avec Selon Charlie s’impose encore : le film de Nicole Garcia est détestable pour cette sérénité de prêtresse, cette manière de juxtaposer l’élégance formelle au cogito bourgeois et d’en tirer non seulement une figure mythique, autoritaire, mais aussi un raisonnement (le côté « j’ai vu ce que personne ne voyait dans l’oeil du maire ou du facteur »). Celui de Klifa ne maîtrise rien. Il n’y arrive pas, trop émerveillé, trop farfouilleur, tout heureux d’être là. La présence d’un chanteur de La Nouvelle Star, dans un rôle secondaire dédié à la posture béate, n’est peut-être pas si incongrue que cela. C’est sûr, ce gamin aux yeux gourmands et au percing diamanté, c’est Klifa qui semble hurler : « Showbiz je t’aime, venez tous jouer avec moi au cinéma français ».