Que Claude Lelouch se prenne pour un mélange de Balzac, Hugo et Patrick Sébastien inspire une certaine pitié, que l’évacuation de Nicole Croisille de la B.O. ne suffit pas à atténuer. Il y a quelque chose de presque émouvant dans cet entêtement à se prendre pour un génie alors que tout le monde lui hurle d’arrêter son cinéma (mais qu’entend-il du fond de sa bulle dorée ?). Pauvre de lui, qui barbote dans une situation grotesque où il ne rencontre que ricanements et désaffection à peu près totale à chaque fois qu’il fait un film, d’ailleurs toujours le même (en gros : convoquer Jésus et une pléiade de vedettes de seconde zone pour débiter en champ / contrechamp, sur une musique d’ascenseur, des âneries sur la vie, l’amour et le destin). Toutefois, et c’est la part la plus antipathique du triste clown Lelouch, impossible de le faire renoncer à une mégalomanie toujours plus ridicule et vulgaire, qui atteint aujourd’hui une dimension surnaturelle assez difficile à imaginer. Avec Les Parisiens, il est dans l’outre-espace du pathétisme (le « isme », pour dire combien l’affligeant chez Lelouch est érigé en doctrine et en vouloir-faire), pas seulement parce que le film atteint les abysses de la nullité, mais aussi et surtout parce que cette mégalomanie se déverse sur l’écran avec un aplomb écoeurant.
Jugez plutôt : modestement, Lelouch entreprend de filmer, comme d’habitude, l’histoire du monde en général et du système solaire en particulier, et s’arrête sur la destinée formidable d’un couple de chanteurs de rue, Shââ (Maïwenn Le Besco, 0 pointé en chant et en comédie) et Massimo (Massimo Ranieri, tocard de la variétoche italienne). La première se fait remarquer par un producteur et largue le naze pour un succès éphémère, mais -c’est fou le destin- c’est le looser qui devient plus tard une vraie vedette de la chanson françouèze. Ellipse, carton « trois ans plus tard ». Claude Lelouch, le vrai, débarque alors dans son film, back from New York. Il a eu vent de l’histoire (fictive) des deux chanteurs, la trouve « magnifique », veut en acquérir les droits, en faire un film. Il le fait, c’est celui qu’on voit (mise en abyme, vous suivez ?). Et Lelouch, une grosse demi-heure durant, de s’auto-léchouiller les glandes de la satisfaction en montrant le génie au travail (avec les Acteurs, dont il serait l’amoureux en chef ; constat : ils jouent tous comme des cochons), en claironnant que pour le rôle principal les plus grandes actrices s’entretueraient (de la part de quelqu’un qui fait tourner Michèle Bernier, Richard Gotainer, Christiana Réali et Xavier Deluc, ça impressionne), que le film est magnifique (là c’est faux, on confirme) et même, histoire d’étaler son bonheur conjugal, que personne n’est plus belle que sa femme (putain, quel poète).
Autour de ce délire narcissique abruti, une foule de méga-ringards déballent les habituelles inepties lelouchiennes : Michel Leeb cause pizza et anchois avec Arielle Dombasle avant de mourir dans un club échangiste ; Robert Namias (dans son propre rôle) livre sa conception de la vie de bureau à TF1: une bonne pute avant un bon gueuleton entre bourgeois ; Francis Perrin, torché, couche avec Michèle Bernier ; Mathilde Seigner est dédoublée en jumelles (une, ça suffisait pourtant) ; Ticky Holgado joue Dieu (tant qu’à faire), etc. Le tout sur le nappage insupportable d’une chanson moche et débile signée par l’éternel Francis Lai (« Le bonheur, c’est mieux que la vie / C’est pas moi, c’est Philippe qui le dit » -sic), dont le bombardement gerbatique découragera les plus téméraires des spectateurs, qui s’enfuiront à la 5e diffusion. Tant pis pour eux, ils ne verront pas la scène-fantasme absolue : une grande salle parisienne archi-remplie de spectateurs en larmes, des affiches du film partout, et sur l’écran, « Le Genre humain : une trilogie de Claude Lelouch ». Réveille-toi, Claude, tu rêvais, la salle est vide.