Alors qu’il tient une place très importante dans l’histoire du cinéma mexicain, Emilio Fernandez a quelque peu sombré dans l’oubli ici en France où ses films -à l’exception d’une rétrospective déjà lointaine du Festival de La Rochelle- sont peu diffusés. Il faut donc rendre justice au distributeur Les Acacias pour avoir exhumé ce remarquable Filet qui, en 1953, lors de sa sortie originelle fut salué par la critique internationale et figura même au palmarès du Festival de Cannes. Après avoir débuté comme comédien, Fernandez se lance dans la réalisation en 1941 ; il tourne avec Dolores del Rio, Pedro Armendariz, adapte Steinbeck (La Perle) et fait une star de Maria Felix qu’il dirige dans deux grands succès : Enamorada et Rio Escondido.
A partir de données dramatiques usées jusqu’à la corde (la formation d’un triangle amoureux avec son habituelle liturgie, indifférence, montée du désir, scrupules, capitulation, affrontement des protagonistes masculins), Emilo Fernandez compose un poème sulfureux dont les audaces érotiques n’ont absolument rien à envier à l’idiotissime Et Dieu…créa la femme qui, trois ans plus tard, suscitera moult scandales bien qu’il fût au moment même de son apparition déjà vieux et moins farouche qu’il ne prétendait l’être. Deux adjuvants de taille servent ici la démarche du réalisateur : la photographie absolument sublime élaborée par Alex Phillips (chef-opérateur de plusieurs des films mexicains de Buñuel) qui, au-delà de la performance technique, joue de toutes les possibilités offertes par le paysage (un village assoupi, la plage où vit le trio de marginaux prêt à se déchirer, la mer déchaînée s’abîmant sur les rochers) et s’ingénie à créer une lumière sensualisante autour du deuxième atout du film : Rossana Podesta. Cette beauté sauvage originaire de Tripoli et découverte par Leonide Moguy en 1949 embrase l’écran à chacune de ses apparitions. Son physique statuaire, la délicatesse de ses traits immergent Le Filet en des eaux bien troubles où tout devient sexuellement signifiant. Vraisemblablement, lui-même happé, Emilio Fernandez succombe, ici et là, à la tentation d’un symbolisme parfois superfétatoire. N’empêche, son film demeure une de ces œuvres aux charmes quasi incantatoires qui parle à l’œil autant qu’au reste de nos sens et que l’on ne peut oublier.