Il faudrait être aveugle pour dénier à Laurent Achard un talent de mise en scène incisif, cru, coupant. Le Dernier des fous impressionne beaucoup, et en multiples occasions, par une maîtrise qui, de la minutie des éclairages à l’étrangeté savamment dosée des cadres, des mouvements des acteurs à la netteté logique d’un montage fonctionnant presque uniquement par raccords de regard, signale que le cinéaste sait parfaitement mettre son savoir-faire technique au service de son récit. Celui-ci est une sorte d’extension d’un court-métrage qui eut beaucoup de succès en festival, beaucoup : La Peur, petit chasseur est son nom, il consiste en un plan séquence de 9 minutes durant lequel un petit garçon se tient devant une maison où se devine, aux sons que l’on perçoit, quelque chose comme l’enfer du nid familial. Procédé fort bien maîtrisé, encore, mais tout autant rigide que ce pitch le laisse entendre : film où le dispositif se calque exactement sur ce que l’on peut en attendre. Inertie, problème.
Le Dernier des fous poursuit cette route. Un petit garçon (étrange Julien Cochelin, présence inquiétante, yeux mi-clos, dos voûté, démarche traînante de petit fantôme), une grande et belle ferme, une mère moitié folle cloîtrée dans sa chambre, un grand frère qui noie son chagrin dans l’alcool. Un tableau noir, rayé par la craie d’un fantastique tantôt pointu, tantôt sourd : assassinat de chat, présence du mal qui gronde partout mais en retrait, visible par saillies. La pente fantastique vient fracasser le réalisme rural : Achard vise très haut, mais son ambition de style tenue, bien tenue, ne rivalise pas avec la pesanteur extrême du propos -sombre, radical, voulu foudroyant. Car Le Dernier des fous marche vers une asphyxie d’hermétisme et n’atterrit que dans des jardins déjà trop largement labourés par Gaspar Noé et consorts. D’une main le film donne à voir les éléments épars d’une chronique familiale sombre et tendue, et comment la fatalité en broie déjà les fondations. L’autre main, il la tient derrière son dos, en attendant de donner la claque, qui s’abattra sous la forme d’un dénouement en forme de coup de tonnerre. Sans doute Laurent Achard porte en lui une colère contre le film de famille tel que le cinéma français le prend en charge traditionnellement. On ne peut pas forcément lui donner tort, mais la solution qu’il propose (une brutalité préparée à l’avance par l’impératif de ne rien laisser transparaître de ce que l’on mijote) n’est pas satisfaisante, ni pour lui, ni pour nous, tant elle ressemble à une forme d’annulation pure et simple. S’il parvient à se mettre au clair avec tout ça, nul doute qu’Achard reviendra fort.