Avec de l’espoir, on se dit que la sortie nouvelle de ce beau film présage peut être d’autres reprises de ces films des années 60, libres et modernes (on appelait ça le nouveau cinéma , il faut lire Les Cahiers du cinéma de l’époque), qui faisaient la grandeur du difficile cinéma européen : ceux de Godard, des Straub, de Pasolini, de Skolimowski… Comme on dit, l’Europe a des souvenirs, et l’Amérique des tee-shirts. Cet été sur les tee-shirt, Armageddon, calligraphié comme le nom d’un groupe de hard, est partout. C’est un succès bien pervers pour les USA gendarmes du monde, car on n’avait pas vu depuis longtemps pareille inanité, pareille absence de cinéma, pareille bêtise. Mais laissons donc l’Amérique à ses tee-shirts ; que l’Europe n’ait plus de souvenirs, d’une certaine façon, c’est positif : ainsi, on a plus de chances de faire du cinéma.
Cet été, deux films plutôt qu’Armageddon – qui n’est qu’une publicité British Airways déguisée- étaient à voir sur les écrans : Le premier, C’est la tangente que je préfère, a même plu à l’exigeant Christophe Clavert, critique chez Chronic’art. L’autre est Le Départ de Jerzy Skolimowski, qui, avec Madame Bovary de Renoir, constitue la reprise de la saison. Le Départ est vieux de trente ans, mais paraît comme au premier jour de son existence.
Peut-il y avoir plus européen que Jerzy Skolimowski ? Né en Pologne, il réalise nombre de ses oeuvres dans les pays occidentaux, en France et en Belgique pour Le Départ. Le génial Jean Pierre Léaud en est la vedette. Il est un jeune fanatique des courses automobiles et n’a qu’une idée en tête, c’est d’en être. Pour ça, il lui faut une voiture de course : Il essaie celle d’un concessionnaire sans se résoudre à la voler, charme une femme riche d’un certain âge, mais pris de remords lorsqu’il voit sa compagne l’attendre en dormant. Il abandonne l’idée de devenir gigolo et finit par emprunter la voiture de son patron.
On doit la richesse et la fraîcheur du film de Skolimowski au personnage central, Marc, âme juvénile, qui ne s’attendait pas à découvrir à la foi l’amour, les lois et le sexe en cherchant simplement une auto. D’ailleurs face à de telles découvertes, il ne peut pas réagir, tout cela est bien trop nouveau pour lui. Il joue donc à l’imbécile, au petit malin, au héros de roman et de cinéma.
Le Départ épouse le mouvement tortueux de la vie, et le film est sans cesse étonnant. Nul besoin de rebondissement ou de Deus ex Machina lourdingue pour surprendre : Si l’on sait y faire, la simple maîtrise des moyens permet de croire à tout ce qui arrive. « J’ai été avec le film de Skolimowski dans un rapport pur, immédiat, total, sans menaces d’autres rapports, sans références qui auraient pu distraire une parcelle de ma présence là où j’étais. C’est l’histoire d’un enfant qui a l’âge du permis de conduire, rien d’autre. » disait Marguerite Duras.