Cinéaste rare, Philippe le Guay a réalisé en 2001, dans une relative indifférence, Trois huit, ovni à l’étrangeté radicale empli d’un lyrisme sec et contenu : peut-être la plus belle surprise du cinéma français socio-naturaliste de ces dernières années. Avec Le Coût de la vie, Le Guay accède à la division supérieure (la comédie sociologique de « qualité française »), sans pour autant avoir su tout garder -ni renier, heureusement- de ce qui fit la force de son précédent joyau. A cela plusieurs raisons, assez évidentes, qui tiennent plus du genre abordé que de toute compromission vis à vis du système (Trois huit était un film sans vedettes, Le Coût de la vie en regorge jusqu’à la saturation).
Le film suit les destins croisés d’individus ayant tous un rapport particulier à l’argent : bon bougre généreux et poches percées (Vincent Lindon), midinette richissime décidant de vivre par elle-même (Isild Le Besco), petit prolétaire naïf (Lorant Deutsch), patron aristocrate (Claude Rich) ou radin terminal et constipé (Lucchini). L’intrigue joue assez joliment des passages entre les uns et les autres, qui finissent évidemment par s’entrecroiser, mais le systématisme narratif inhérent à ce genre de film guette chaque raccord de plan. Pour autant, les écueils du petit panel sociologique ou de la caricature sont évités avec une grande finesse par le cinéaste : la raison en est sa pureté (un discours absolument égalitaire et hors de tout jugement) autant que sa façon de dribbler tout esprit de sérieux par le recours à une truculence légère et fantaisiste (Lucchini, par son sur-jeu constant, joue moins au trublion qu’à l’équilibriste).
Le sens de la comédie, aiguillé par des gags imparables, mais aussi la façon unique qu’a Le Guay de veiner ses plans d’une humanité à la fois sobre et bouleversante (Vincent Lindon peu à peu démuni de tout, toujours bonne bouille en surface) permettent au film de se tenir de bout en bout. C’est d’ailleurs très sûrement de cette rencontre entre Le Guay, capable de transformer une chronique d’usine ordinaire en mélodrame absolu, dans Trois huit, et Vincent Lindon que le film tire ses plus beaux éclats. Le reste, s’il n’éblouit que le temps de quelques scènes, voire quelques plans, confirme une maturité jamais m’as-tu-vu (le royaume de ce genre ultra-visité, pourtant) où affleure en sourdine toute l’incisive et sèche délicatesse de Philippe Le Guay.