On croyait pouvoir trancher immédiatement. Déjà que Costa-Gavras n’a pas le sens de la nuance, que José Garcia peut encore louper un rôle de composition à l’américaine et que les romans de Donald Westlake sont rarement compris par le cinéma français, Le Couperet ne pouvait que patauger dans sa mélasse de thriller à thèse. Mais petit miracle : en faisant de la sobriété une seconde nature, le film se fraie un chemin entre clichés et métaphores pachydermiques. Costa-Gavras n’a même presque jamais été aussi bon. Il faut remonter aux fictions politiques qui ont fait sa gloire pour retrouver pareil état de santé. Si son image de gauchiste hollywoodien pleurnichard le fait souvent passer pour un Oliver Stone au rabais, Costa-Gavras reste avant tout un professionnel français, sans doute le seul et unique bon faiseur à avoir réellement existé chez nous depuis quarante ans.
Le Couperet le démontre : pas de vision foudroyante sur la société, aucune tentative de virtuosité mais une solidité à tous les étages qui se suffit à elle-même. Socle souvent indigeste de ses films, l’intrigue est un modèle de construction et de fluidité : Bruno Davert, cadre supérieur victime d’une restructuration, se voit contraint de tuer ses rivaux au poste qu’il convoite dans une usine de papier. Impossible de s’apitoyer vu l’urgence de la situation. Les richesses s’épuisent, le climat familial se dégrade vertigineusement, et de nouveaux prétendants peuvent émerger avec le temps. On sent bien la patte de Westlake (Le Point de non retour), écrivain sec et rugueux qui place ses personnages dans une spirale guerrière aveuglante. Gavras tente bien de prendre de la distance en ouvrant le film sur une confession de Bruno dans sa chambre d’hôtel, choqué par l’assassinat ultra-glauque qu’il vient de commettre. Mais la série B reprend ses droits. La femme de ménage le réveille en sursaut, les flics l’interrogent, son fils dérape, et le cinéaste se laisse griser par la vitesse du scénario, ravi de raconter plutôt que de compatir tristement.
Costa-Gavras trouve en José Garcia un partenaire de choc, à mi-chemin entre l’Actor’s studio et une légèreté comique assez bluffante. A l’image de l’expérience burinée de Gavras, sa performance surprend par sa pondération absolue. D’habitude un peu figé dans ses excès (voir sa composition Houellebecquienne chez Philippe Harel et son numéro bigger than life de rigolo dans l’atroce Rire et châtiment), il transcende admirablement les deux mouvements du films, mélange de lassitude et de parcours du combattant. La scène de l’entretien d’embauche sonne comme un petit traité théorique : entre le cynisme du chômeur longue durée qui commente la méthode rompue du chasseur de tête et son effroi quand le cuir de son fauteuil couine au moindre mouvement, Garcia se faufile avec aisance. C’est aussi grâce à lui que le film se démarque tout naturellement du modèle hollywoodien. Bon boulot de groupe.