Nul doute, à la vision de ce documentaire espagnol très aimé un peu partout et qui s’est fait connaître via les festivals où il a moissonné les prix, qu’il est nourri au bon grain. Deux parrains sont revendiqués pour cette virée quelque part en Castille, voyage en quatre saisons sur la terre natale de la cinéaste : Erice et Kiarostami, difficile de rêver mieux, le premier ayant par ailleurs activement soutenu, par voie de presse, cette terre qui tourne. Qui tourne et ne change pas, ne change rien, tant on sait -nous tous et le film aussi- que quatre saisons c’est tout et rien, le temps qu’il faut pour tourner autour du soleil et revenir au point de départ constater que le temps ne fait rien à l’affaire quand on est vieux sous le ciel de Castille. Un village, quatorze habitants ou survivants, si l’on veut, de l’ère rurale : des dinosaures, le film le dit avec un certain humour, cadrant une mamie posant le pieds dans les empreintes immenses de quelque brontosaure jadis occupant la contrée. Ce petit village a vu naître la réalisatrice, elle y revient.
L’attention aux paysages, aux arbres perchés sur la colline ; un peintre aveugle qui continue à peindre, mais différemment : les deux parrains du film le hantent mais à peu près sans le dévorer. Le risque ne se cantonnait d’ailleurs pas, pour la cinéaste, à l’évocation de figures pesantes : plus perverse est la manière dont un tel sujet -vie moribonde d’un petit village perdu dans les terres, ses habitants édentés, son peintre symbole- convoque sans crier gare un discours tout fait, et qui lui colle à la peau. En pleins : discours, ou leçon de choses, sur le temps qui passe, sur l’immuabilité du lieu, quand sur lui au contraire tout s’efface ; en déliés : discours sur le doc comme genre champion de la mort au travail, doc qui contemple et fait oeuvre, doc docte qui sait passer, seul, là où passe mal la fiction, dans la contemplation sereine et préoccupée, doc qui sauve l’honneur du cinéma en recueillant ce qui va bientôt disparaître, petits vieux rigolos, etc. De cela, Le Ciel tourne déjoue peu, pas assez, d’attendus. Mais sauve l’affaire tant il brille par sa puissance formelle, indéniable. Par la vision d’une colline arpentée par un peintre aveugle et un vieux villageois, par le secours d’un beau cerisier, par une conversation dans un cimetière. Pas de quoi s’emballer comme des petits fous, c’est certain, mais certitude tout de même de tenir entre ses yeux un bel objet, aux racines profondes, au ciel intense.