Trop de douceurs nuisent à la santé. C’est ce dont aurait dû se souvenir Lasse Hallström en tournant cette daube insensée située dans un petit village français à la fin des années 50. Ou plutôt dans un bourg international, car tout le monde, à Lansquenet, parle un anglais parfait, même si traversé de temps à autre par d’étranges réminiscences gauloises presque hors contexte, du genre « I’d like to see my papa » ou encore « May I have some gâteau ? ». Bref, des mots très chics, surtout lorsqu’ils sont prononcés par notre Juliette nationale, décidément à l’aise dans l’univers des sucreries hollywoodiennes. Après avoir ravi l’Oscar du meilleur second rôle féminin pour Le Patient anglais (mélo dégoulinant), Binoche est repartie à la conquête de l’Amérique via Le Chocolat (fable mielleuse et indigeste). Et ça marche ! La star est de nouveau nominée aux prestigieux Academy Awards (eh oui, nous aussi on peut le dire en v.o.), cette fois-ci dans la catégorie suprême de la meilleure actrice. Ah ! Qu’il est loin le temps de Godard (Je vous salue Marie) et de Carax (Mauvais sang, Les Amants du Pont Neuf).
Mais revenons au film de Lasse Hallström, concentré éhonté de bons sentiments. Binoche y campe Vianne Rocher, femme libre et émancipée qui parcourt le globe avec sa fille (Victoire Thivisol, la Ponette de Doillon) dans l’espoir de rendre les gens meilleurs (!). En ouvrant une chocolaterie à Lansquenet, nos deux héroïnes ignorent que les villageois, ultra-conformistes et horrifiés par les vertus euphorisantes du cacao, vont se retourner violemment contre elles. Heureusement, Vianne a plus d’une recette dans son sac et réussira in fine à séduire les cathos réactionnaires, notamment grâce à quelques alliés marginaux : Armande Voizin, vieille hédoniste (Judi Dench), Joséphine Muscat, femme battue (Lena Olin, fort convaincante), sans oublier Roux, séduisant romanichel (Johnny Depp). On notera au passage la magnifique francisation des noms de famille…
Le seul atout du Chocolat, c’est qu’on ne s’y ennuie pas. Impossible en effet de bâiller devant cette succession de portraits naïfs et de clichés extraordinaires. Rien que de la joliesse, du chamarré, de l’alléchant -entre les truffes et la ganache, il y en a pour tous les goûts. Ce n’est pas désagréable, mais ça devient vite écoeurant. Car comment croire une seconde à cet univers factice et à ces figures policées (voir l’apparition surréaliste de Johnny Depp, lunettes de soleil et guitare à la main) ? Par la magie du conte de fées argueront certains, auxquels on rétorquera qu’un conte de fées privé de cruauté et de mystère, ça s’appelle généralement de la régression crétine.