Artus films sort des oubliettes une rareté du fantastique rital, Le Château des morts-vivants. « La guerre est finie. L’ambitieux rêve napoléonien s’est éteint à jamais. Mais sur les routes d’Europe la mort est encore à l’affût ». Au début du XIXe siècle, une troupe de bohémiens, comédiens ambulants et voleurs de poules, est invitée dans son château par un Christopher Lee insomniaque (la maquilleuse a un peu forcé les cernes sous les yeux), qui mijote des trucs pas clairs et cherche à endormir leur méfiance en se faisant passer pour le comte Drago (bonjour l’originalité), un aristocrate passablement excentrique pour qui la taxidermie ne se limite pas qu’aux seuls animaux empaillés… A défaut des zombis du titre (nulle trace dans tous le métrage), le comte a mis au point une formule qui garantie une conservation parfaite des corps pour l’éternité, ce dont il entend gracieusement faire profiter les représentantes du sexe faible même non consentantes qui tombent sous sa main.
Inconnu au bataillon, ce petit budget d’épouvante, mais pas ridicule pour un sou, est une très jolie surprise du gothique italien, auquel il ne manque pas grand-chose (une petite pointe d’audace) pour être une absolue réussite du genre. Inédit dans les salles françaises, le film daté 1964, parait un peu plus ridé que son âge (à cause du noir et blanc), en comparaison des productions Hammer ou AIP de la même époque. Un peu timide en matière d’horreur et pas complètement déniaisé au niveau de l’érotisme, quand bien même Gaia Germani est plutôt mignonne dans le rôle de la bohémienne les seins qui pointent qu’on aimerait plus farouches dans le décolleté, Le Château des morts-vivants (Castle of the living dead / Crypt of horror / Il Castello dei morti vivi) ne joue pas non plus jusqu’au bout la carte de la Commedia del arte malgré son final creepy et grotesque à la fois, avec Arlequin aux prises avec Drago, pour les beaux yeux de Colombine, et le nain, la sorcière et le gendarme qui s’invitent en renfort dans le même plan. Dommage. Mais la brune héroïne poursuivie dans un labyrinthe de couloirs sombres, puis sur les murailles du château, par l’espèce de l’Ankou la faux à la main, vaut quelques très beaux plans atmosphériques. Surtout la réalisation tire joliment profit de la bizarrerie des extérieurs du Château Bomarzo, célèbre pour les gigantesques sculptures de pierre qui hantent son parc (Parco dei mostri, le parc des monstres). André Pierre de Mandiargues leur avait déjà consacré quelques très belles pages de son Belvédère. Voi che pel mondo gite erando vaghi / Di veder maraviglie alte e stupende / Venite qua, dove son faccie horrende – « Vous qui allez errants par le monde / Pour contempler de hautes et stupéfiantes merveilles / Venez ici ! Vous y trouverez des faces terribles ». On ne peut rêver meilleure invitation à cette co-production franco-italienne parée d’un improbable casting réunissant autour de Christopher Lee précité, un plateau pour le moins disparate. Au milieu de quelques bonnes vieilles trognes du bis transalpin : Mirko Valentin (La Vierge de Nuremberg), Jacques Stany (Quatre mouches de velours gris) et le peterloresque Allan Collins (Luciano Pigozzi) vu dans Le Corps et le fouet et Baron vampire de Mario Bava et dans la plupart des films de son copain Antonio Marghereti, les amateurs apprécieront à sa juste valeur de retrouver le génial mais trop méconnu Philippe Leroy (Beaulieu, père de Philippine) dans le rôle du jeune premier qui sait manier la cape et l’épée pour sauver sa dulcinée. Découvert par Jacques Becker dans Le Trou (1960), cet ancien para d’Indochine et d’Algérie reconverti jeune premier du cinéma français poursuivra pourtant l’essentiel de sa fructueuse carrière en Italie (Milan calibre 9, Femina riddens, Portier de nuit). Les curieux s’amuseront aussi de découvrir le canadien Donald Sutherland dans son premier rôle ciné qui met les bouchées doubles dans le rôle de la maréchaussée bête comme ses pieds et sous les oripeaux d’une vieille sorcière au nez crochu. Avec ses bras trop longs et sa grande silhouette d’échalas dégingandé, l’acteur cabot des Douze salopards et de Mash est déjà fidèle au rendez-vous, toutes grimaces et ratiches dehors. Même le nain mérite d’être cité : Anthony Martin (alias Antonio De Martino), tellement bon que balancé par un géant du haut d’une tour, il trouve le moyen d’atterrir sur une meule de foin pour, résurecté in extremis dans la dernière bobine, s’inviter dans la charrette des deux amoureux.
Coté réalisation, Le Château des morts-vivants n’a pas encore livré toute sa part de mystère. Le générique à lui seul reste une énigme qui donne un certain Warren Kiefer comme réalisateur et le très lovecraftien Herbert Wise à la mise en scène (en réalité des pseudos qui cachent les non moins obscurs Lorenzo Sabatini et Luciano Ricci). Deux réalisateurs pour le prix d’un, c’est bien, mais c’est sans compter la participation non créditée du légendaire Michael Reeves (She beast, Sorcerers, Le Grand inquisiteur), d’abord engagé comme scénariste et réalisateur de seconde équipe, il aurait aussi tâté de la caméra pendant le tournage, marquant ainsi les débuts d’une carrière aussi fulgurante que tragique (il décède à l’âge de 25 ans). Last but not least, l’image du film bénéficie aussi de la superbe photographie d’un des plus grands chefs opérateurs du néoréalisme italien, Aldo Tonti. Cet ancien photographe officiel du Duce a œuvré pour la gloire du 7e art aux cotés des plus grands : Visconti (Ossessione), De Sica, Rossellini, Fellini, Monicelli et tutti quanti… pour finir sa carrière en beauté en 1983 avec 2072, Les Mercenaires du futur (I guerrieri de l’anno 2072) du maestro Lucio Fulci. Respect.