Après les phénomènes Totoro, Porco Rosso, Mononoké et Chihiro, voici donc venu Le Château dans le ciel, aventure de Gulliver revue et corrigée par les studios Ghibli, à sortir enfin des griffes de Disney (qui, après avoir acheté quasiment tous les films de Miyazaki, se contentait jusqu’ici de les garder jalousement dans ses coffres). Il aura donc fallu attendre quinze ans avant que celui-ci nous parvienne enfin. Il y a dans Le Château dans le ciel (1986), déjà, toute l’oeuvre de Miyazaki condensée : une histoire d’enfants (Pazu rencontre Sheeta, une fillette tombée du ciel par la grâce d’une mystérieuse pierre bleue), des sortilèges, une sombre fable animiste, un graphisme surtout, qui ne tromperait personne.
C’est sur ce point que le film, sorte de plongée dans les entrailles du style Miyazaki, sidère le plus. Le Château dans le ciel est beaucoup moins boursouflé que le récent Voyage de Chihiro (ce qui évidemment n’était pas un défaut) : il s’inscrit dans l’esthétique de l’animation des années 80, entre décors verdoyants et personnages très fins (les deux enfants) ou au contraire très grossiers (les méchants : pirates et militaires lancés à leur poursuite). A la moindre scène d’action, pourtant, (poursuite phénoménale entre deux trains sur un pont, tempête en plein ciel), un nouveau style, plus ample, plus abstrait, littéralement démesuré, surgit : l’image devient comme folle, prise entre mouvements vertigineux et gros plans démentiels, s’ouvrant au transformisme et à toutes les métamorphoses (celles-là mêmes qui feront de Mononoké et Chihiro d’immenses oeuvres métaphysiques). Ce jeu entre plusieurs régimes d’images, plusieurs couches de narration (à la fois aventure enfantine et fable politique violente, avec la scène finale d’apocalypse en plein ciel), trouve surtout, ici, une sorte d’écrin à la mesure de sa folie : le ciel, véritable obsession du cinéaste -voire les machines volantes qui seront reprises dans Porco Rosso-, dans lequel se trouve la ville majestueuse et verticale de Laputa, micro-monde attirant tous les désirs (ceux des enfants, bien sûr, mais aussi de tous les apprentis dictateurs qui se disputent le monde terrestre).
Par sa façon de faire de la voûte céleste le devenir même de ses images (tout dans le film tend à s’élever, même les méchants pirates se transformant en gentils personnages de conte), Miyazaki trouvait déjà avec Le Château dans le ciel le moyen d’imposer sa puissance créatrice sans que jamais celle-ci ne semble trop grande, trop ambitieuse, trop indigeste pour une simple feuille de dessin. L’épopée, ici, flotte comme un nuage dans un immense ciel bleu, de la même façon que toute chute (des temps, des civilisations), toute fin, prend la forme d’un petit détour enfantin dont le seul enjeu serait de revenir, une fois la folie des hommes consommée, à l’harmonie totale du monde et des images.