Difficile de se souvenir de toutes les formes du Chaos : mélo familial, bollywooderie sentimentale, charge contre la corruption, thriller sanglant. Polymorphe à grande vitesse et fracas, le dernier Chahine ne fait pas dans la dentelle. On peut quelquefois avoir le sentiment d’être dans une mauvaise série télé, tant les virages sont brutaux, les coups de zoom et les contre-plongées éhontés. Mais le kitsch cheap, surtout cairote, flambe dans l’enflure et c’est tant mieux. Scénario d’archétypes sans scrupule : ici il est question d’un policier corrompu amoureux fou d’une vierge promise à un procureur incorruptible. Du grotesque invraisemblable à l’explosion de violence tout aussi invraisemblable, Chahine met les quatre pieds dans le plat avec toujours une ironie en coin.
Certes le film s’égare, s’étirant parfois trop longtemps en épisodes secondaires jusqu’à perdre le fil. Mais c’est davantage dans ses trouées soudaines que Le Chaos prend. Poussées à bout, certaines scènes produisent des piques étonnantes qui laissent pantois. On en croit difficilement ses yeux lorsque, entre gag et obscénité, le policier malheureux en amour vient déchaîner sa rage à coups de fouet sur des prisonniers dont on n’aperçoit pas même le visage. Lorsque le gentil procureur danse avec sa mère et sa fiancée, on ne sait pas trop jusqu’où va nous entraîner l’extrême naïveté alliée à un sens de l’explicite sans détour. Le Chaos joue avec les limites, entre le ridicule de série Z et l’irruption d’une très frontale crudité. Ainsi, dans le bain mélo, le sexe arrive comme une douche froide, comme un événement quasiment hétérogène, coup de cymbale sinistre qui n’empêche pourtant pas le souk, car malgré tout rien ne pèse. Pas de chansons cette fois-ci pour rythmer la ruée mais des scènes de danse et surtout des flots de foule où Chahine excelle toujours. Si on veut bien ne pas être trop regardant sur ses inratables longueurs, on se laisse rattraper par l’emballement sans manières du Chaos.