Au XVIIIe siècle, Mongryong, enfant unique du gouverneur de la province de Namwon, s’éprend de Chunhyang, fille d’une ancienne courtisane. Leur mariage étant impossible en raison de leur différence sociale, les jeunes amants s’unissent en cachette et se retrouvent chaque nuit chez Chunhyang pour célébrer leur passion. C’est alors que le père de Mongryong est appelé à la cour du roi. Contraint de suivre sa famille, l’adolescent abandonne sa Chunhyang, effondrée, tout en lui promettant de revenir très vite…
Chunhyang est l’adaptation d’un pansori, chant issu du folklore coréen et érigé en spectacle, récit psalmodié à l’accompagnement musical vétuste (seul un joueur de tambour seconde le narrateur). Ainsi, le film de Im Kwon-taek pose d’emblée la question de l’harmonie complexe entre art visuel et sonore. Puisque les deux s’attachent ici à une même histoire, comment esquiver l’effet de redondance, la pesanteur du superfétatoire ? Tout simplement par la grâce. Car si le cinéaste n’échappe pas tout à fait à l’illustration du pansori, à sa mise en images parfaitement synchrone, son travail est d’un tel raffinement qu’il ne souffre jamais de cette obédience. La luxuriance des costumes et des ornements de toutes sortes, loin d’entraîner Chunhyang vers l’impasse du cinéma décoratif, participe à une vaste opération de séduction naïve, de pur éblouissement. Même les moments a priori les plus anodins sont empreints de lyrisme. Il suffit par exemple d’un valet partant à la recherche d’une jeune fille aperçue par son maître pour qu’une séquence prenne l’ampleur d’un périple à la fois burlesque et sacré. La maladresse savante de l’acteur confrontée aux pièges inoffensifs semés par la nature confère à ces quelques minutes une poésie unique, en osmose avec le chant qui la soutient.
En choisissant d’autre part de montrer par intermittence le récit dans sa forme scénique originelle, Im Kwon-taek joue le dénuement contre la flamboyance, l’aridité de la tradition contre la richesse du cinéma. C’est au sein même de ce va-et-vient permanent que le film puise sa beauté, touché par ses propres images, mais aussi par la dimension festive du pansori. Lorsqu’il s’intéresse soudain au contrechamp de la représentation théâtrale (en l’occurrence, un public éclectique tapant des mains et des pieds au rythme de la musique), le réalisateur coréen émeut autant que lorsque l’histoire prend forme. Cette attention magnanime prêtée à la fiction comme au réel, au simulacre comme à l’authentique, fait tout le prix de Chunhyang.