10 tomes de Marx, mais transposés en film à suspens, et avec l’acteur de Chouchou : voilà ce qu’on se dit d’abord. Idée que Costa-Gavras n’a pas eue, puisqu’en réalité, dès l’ouverture ce n’est pas Marx que l’on retrouve, ni même le livre de Stéphane Osmont dont s’inspire officiellement le film, mais un tout autre Capital : celui d’Emmanuel Chain, celui de M6. Le film, qui raconte l’ascension foudroyante d’un banquier (Elmaleh, donc), c’est d’abord une terrible déconvenue esthétique, une œuvre reliée de partout à la laideur la plus crue des reportages télé d’investigation, et autres enquêtes boulimiques de l’audimat. Agression d’abord auditive : tout commence par une ignoble musique électro, façon générique de JT, qui s’étalera de long en long et dont il s’agira d’essayer de faire abstraction.
Cet obstacle musical franchi, ce blindage percé, on atteint le noyau du film, qui n’est autre qu’une exhibition sans pitié du monde de la finance, dévoilé sous ses angles les plus révoltants. Ce qui perd Le Capital, c’est que la réalité de ce qu’il décrit coïncide totalement avec ses stéréotypes. Banquiers grisonnants amateurs de havanes, et joueurs de golf ? Oui, c’est vrai. Jeunes requins encore plus voraces, profilés Jérôme Kerviel ? Vrai. Putes de luxe ? Vrai. Partouzes géantes ? Aussi. L’argent qui pourrit tout ? Evidemment. Plus le trait est forcé, la caricature grasse, plus on touche du doigt la vérité – seule échappatoire, pour se débarrasser du trop-plein : le fantasme, la pulsion (à travers de risibles saynètes). Rien qui ne soit connu, donc, archi-connu, et que le cinéaste dénonce pourtant en découvreur, en expert aguerri, filmant avec le doigt levé du grand maître zen. S’agissant pour Costa-Gavras de parler avant tout du capital, rien que du capital, tous les personnages se retrouvent écrasés, expurgés, effacés par le système qu’ils habitent. Prenons seulement l’enfance, peut-être le puissant révélateur du problème : gâtés, autistes, méchants, tous les enfants du film se retrouvent sacrifiés sur l’autel du grand capital. Lors d’un repas de famille, tonton Elmaleh offre des PSP à tous les kids (ils sont au moins dix) qui s’isolent dans une pièce, rivés à leurs consoles, pour peut-être, disons, l’un des plans de cinéma les plus désespérants de l’année.
« Premier rôle dramatique de Gad Elmaleh », a-t-on pu lire : ce n’est pas tout à fait vrai, puisque l’on sent tout de même que le film tend beaucoup vers l’ironie, vers la comédie satirique ou même la pure pantalonnade (cf. les sourires cyniques dispensés à la caméra, mais aussi une quête du bon mot, du dialogue ciselé, de la blague souterraine). Or pour relever le projet par ce bout-là, il aurait fallu au moins un Michel Audiard. Selon Costa-Gavras le capital est un dossier, son film est un film-dossier dans lequel même l’humour, pourtant bien présent, reste d’un froid cadavérique. Prenons par exemple tous ces liens noués, dans le film, entre capitalisme et libido – expliquant en somme qu’il n’est de désir possible, dans le monde de la finance, que scruté, travaillé, dirigé par la mort. Chose vraie, bien vue, mais les scènes qui le disent (le cancer des testicules du grand patron, ou encore le personnage du mannequin dont s’amourache Elmaleh, totalement chimérique, mort-né), ne donnent lieu qu’à des railleries sinistres à propos de figures détestables, inhumaines – mais surtout, qui ressemblent à tout sauf à des personnages.