Qu’un cinéaste en panne d’inspiration depuis vingt ans aborde la question du cancer paraît logique. Surtout lorsque le cinéaste s’appelle Bertrand Blier, pervers pépère à bout de souffle mais résolument opiniâtre, pas près d’accepter sa mort cinématographique malgré une inspiration pour le moins métastasée. Espèce unique, le Blier des années 2000 peut se targuer d’être à la fois un vieux con figé dans ses vieux schémas esthétiques, et une midinette qui aspire l’air du temps avec l’énergie du désespoir, comme pour (se) convaincre que sa légende est encore vivace. Se rappeler ses deux derniers films, auto-parodies ringardes malgré l’envie de faire moderne, deux fours sans conséquences sinon celle de prolonger tranquillement l’agonie de son auteur. Les films, donc : Les Côtelettes, duel de vieux croûtons produit par Besson (son pire, de très loin), et Combien tu m’aimes, dans lequel Bernard Campan, alors fraîchement consacré grand acteur sérieux, s’énamourait d’une pute à l’ancienne (bof). Maintenant que la mode est à Dujardin, c’est logiquement son tour. Blier en fait un écrivain grand bourgeois décadent (bof), qui reçoit la visite de son propre cancer (Dupontel).
Le scénario égraine les considérations habituelles du combat contre la Mort, dans un paisible ronron que la noirceur extrême du sujet vient à peine troubler. Dujardin-Dupontel va de répulsion en camaraderie grinçante, rejoint par un duo féminin symétrique, la maîtresse de l’écrivain (qui est aussi sa bonne), et son propre cancer. Créer un personnage à partir d’un autre, à la manière d’une cellule qui se subdivise pour proliférer, l’idée n’est pas mal, mais une fois lancée, Blier la circonscrit à son style, entre sketch et pub. La mort lente, le cancer, même le principe de la contamination, au fond, tout ceci n’est qu’un prétexte pour reproduire des effets de signature hélas souvent très rances. Mises en abîme vermoulues, science de l’absurde à peine digne d’un épisode de la série Palace, sur-cabotinage des acteurs, convaincus à tort qu’il s’agit de jouer comme Blier écrit, avec distance. Définitivement peu à l’aise dans la gravité, Dujardin n’a pas encore décroché son rôle à la Tchao pantin, tandis que Dupontel dupontélise sans filet, sans la moindre imagination.
Même la traditionnelle provoc se dilue dans un assemblage de combinaisons théâtreuses où les lieux communs dominent. Mais du cancer-compagnon au baiser de la mort, en passant l’exaltation du couple à l’ancienne (lui, l’artiste riche buveur de blanc, elle, la boniche à tendance maternelle), ce mélange de consensus mou et d’abécédaire cher à l’auteur, a le mérite de ne sombrer dans le détestable. Il serait même injuste de ne pas y déceler quelques belles choses, comme le décor, par exemple, qui joue à merveille des contrastes : le mas provençal plongé dans la pluie et la grisaille, le seau à glace d’un Dujardin emmitouflé, qui confèrent à l’image une texture fiévreuse et glacée. Si les derniers films de Blier avaient tendance à gâter les grandes œuvres du passé, Le Bruit des glaçons se voit plutôt comme une version miniature, superficielle, mais pas dégénérée. Au point où il en est, c’est même appréciable.