Le Bel âge, c’est un deux en un. Le récit d’un patriarche amputé de sa jeunesse passée sur le front et le récit d’un apprentissage, d’un passage à l’âge adulte, d’une totale éclosion des sens. Le grand gaillard pâle, tout ridé, au crâne chauve, chevrotant sans faiblir, c’est Maurice Reverdy (Michel Piccoli), résident d’un grand manoir perdu dans l’automne des Vosges et grand-père contre son gré de la jeune Claire (l’éclatante Pauline Etienne, dont on avait déjà croisé le sourcil perpétuellement circonspect dans Elève libre), nageuse prometteuse et orpheline faisant le forcing pour s’émanciper au plus vite de cette autorité sans tendresse. Et le fossé est tel entre eux que le film en apparaît séparé en deux zones parallèles. Couleurs passées, très feuilles mortes, caméras fixes, lieux déserts, et musique tout ce qu’il y a de classique dans les séquences du père Reverdy VS nuancier sans retenue, caméra agitée, territoires de rencontres et musique pop fragile et transpercée quand Claire est à l’image. De ce refus volontaire de se choisir une chaise, Le Bel âge ressort schizophrène et fiévreux, sans en être moins beau pour autant.
Il y aurait même quelque chose d’extrêmement touchant dans le choix d’une pareille structure (quasiment un split-movie). Deux fils d’une histoire, tendus comme deux idées, deux états, deux âges de cinéma s’opposant : la jouvence de la création, l’apprivoisement (Laurent Perreau, dont c’est le premier long métrage) contre l’ancienneté, le métier (Michel Piccoli, la nouvelle vague, le monument aux cent-soixante films). Et à un récit premier (Claire, donc), il y aurait un double aîné, un récit parrain (Maurice), assurant l’équilibre de la baraque et donnant à l’ensemble ce mélange d’impulsion et de maturité, une aura contagieuse.
Et ce bel âge, alors, comment le départager ? Cet âge rêvé, doré, le film de Laurent Perreau l’associe très joliment au seul désir : le bel âge, c’est celui de la permanence de la pulsion et de l’envie. Et si Reverdy et Claire sont aussi lointains l’un de l’autre, leur écart est moins générationnel que lié à leur manière de vivre ce désir. Pauline Etienne / Claire est dans l’acte quand Piccoli / Reverdy, débarrassé de sa libido (on se souvient de Buñuel qui avouait dans un entretien n’avoir jamais été plus heureux que depuis qu’il s’était délié de son désir de sexe), ne jouit que de la simple contemplation d’une belle femme nue allongée dans son salon. Ce que réussit encore très bien Le Bel âge est dans ces scènes fugitives où les deux protagonistes se rencontrent, et où naît une inquiétude surplombant le reste du film : la violence du rejet.