Pendant qu’a Hollywood on en est à célébrer les exploits de héros plus froids que la mort, que la morale est définitivement du côté de celui qui tire le plus vite, du plus féroce instinct de survie, en France certains tentent de faire survivre un naturalisme lyrique d’un autre âge, où gaieté balourde tient lieu de réponse à tout. Tel est le cas de Roger Planchon qui avec son Lautrec atteint des sommets encore insoupçonnés de l’illustration biographique débilitante. Ceci est d’autant plus étrange (mais la bêtise peut-elle encore nous étonner ?) que son Lautrec gesticule pendant une bonne part du film pour dénoncer l’académisme alors en vogue dans les Salons. A l’instar des peintres pompiers que dénonce son héros, Planchon plonge la tête la première dans cet insipide naturalisme qui consiste à nous montrer un condensé de chaque seconde de la vie du peintre donc, évidemment, à en omettre l’essentiel.
Malgré les années passées sur les planches, il semble que notre bon Roger a oublié l’adage de Brecht -dont il avait pourtant, en des temps forts reculés certes, porté en scène deux pièces- selon lequel « le réalisme ce n’est pas comment sont les choses vraies mais comment sont vraiment les choses « . Autrement dit, il ne sert à rien de tenter des reconstitutions historiques, car ce qui importe c’est en quoi la vie de Lautrec nous intéresse-t-elle à l’heure qu’il est. Voir le dépucelage du jeune Lautrec ou la bave sur sa barbe à l’heure de sa mort nous importe fort peu et ce qu’il aurait fallu plutôt nous montrer c’était bien pourquoi et comment sa peinture venait bouleverser la tradition.
Si toutefois l’envie vous devenait irrésistible de voir Jean-Marie Bigard pousser la chansonnette dans la peau d’Aristide Bruant, -le fin du fin du ridicule ayant enfin été atteint- je ne ferais rien pour vous en empêcher. Je vous conseillerais néanmoins, plutôt que ce film déjà trop vieux, de revoir le Van Gogh de Pialat ou le Cézanne de Straub et Huillet, modèles de « biographies » intelligentes. Du reste, vous l’aurez compris, on veut la peau de Roger Planchon.