De Thaïlande nous parviennent de plus en plus de films, formant deux branches aisément repérables : d’un côté les films de genre (les frères Pang, le brutal Ong Bak, qui débarque le mois prochain), de l’autre des « films d’artistes » où le temps prend son temps, et dont l’éblouissant Blissfully yours d’Apichatpong Weerasethakul demeure l’inégalable champion. Le nouveau film de Pen-ek Ratanaruang (très inférieur à Blissfully yours, précisons-le d’emblée), poursuit le cheminement de ce cinéma volontiers moderniste, et ajoute plaisamment sa pierre à cet édifice langoureux. Un Japonais suicidaire exilé en Thaïlande trouve refuge chez une belle autochtone en partance pour le Japon dont la sœur vient de mourir, ce qui ne l’empêche pas de visiter ce couple de fortune. Tout, ici, est voué à la dégustation d’images humidifiées par la chaleur thaï, un cinéma trempé qui à la fois trace sa route avec ses presques-poncifs agréables à l’oeil (la patte Christopher Doyle, la fluidité de chaque déplacement) et se colle au cliché de la production auteurisante d’Extrême-Orient. Séduisant, limité au fond, mais tellement plaisant.
Last life in the universe ou la dilution des sentiments comme après une transparente inondation qui jetterait corps, caméra et plans dans un bain chaud. Le film se laisse aimer. Il enterine aussi le motif du flottement, la fluidité toute moderne de l’image, comme un lieu commun où l’on se sent bien. On parle d’un cinéma du flux, il y a en tout cas un cinéma qui flotte, et Last life in the univers est ballotté par les courants aquatiques comme une méduse dans les rêts invisibles d’une charmeuse indolence. Les jointures semblent ramollies par la moiteur thaï, par des infiltrations, une perméabilité au dehors. Pourtant, la prégnance du visible, immédiatement satisfaisant (c’est un film qui occupe l’oeil), n’interdit pas, au contraire, l’accueil d’autres présences. Les fantômes sont comme impatients de venir se lover dans cet espace moelleux. La soeur morte entre parfois dans le film comme dans une maison ouverte aux quatre vents, peut-être en quête de chaleur, puis disparaît dans un soupir.
Ratanaruang flirte parfois avec la joliesse humide et molle de Tran Anh Hung, mais s’en tient heureusement à l’écart, ne s’y pose pas. Il n’est pas non plus question d’un avenir angélique des êtres, d’une instantanée béatitude asexuée. Il est aussi question -et c’est plus important- d’une apesanteur qui travaille tout le film. Ce qui étonne le plus, ici, est que jamais ou presque le besoin d’une masse, le désir d’amarrer le plan ne se font ressentir. C’est la douceur et la limite du film, sa manière souple et son absence de secousses ne l’empêchent pas de filer entre les doigts. In extremis, par l’issue rêvée qu’il propose, il en revient à une gravité (une gravitation) souriante ; et ce vrai-faux dénouement comme le reste s’amortit dans la sereine et loufoque étoffe sentimentale.