Film atroce, dont la vulgarité ne relève pas vraiment de la beaufitude inhérente à beaucoup de grosses productions françaises – elle est d’un autre type, c’est plutôt une vulgarité de parvenu. James Bond français (mais surtout pas franchouillard), incapable de dissimuler sa fierté de rivaliser financièrement avec Hollywood (la classe), alors qu’il voudrait transmettre le contraire, une sorte de naturel aristocrate, de fluidité cool et suave. Ça n’a l’air de rien, mais ce refoulé court-circuite totalement les intentions de Jérôme Salle, déjà signataire du premier Largo, et qui n’a pas progressé d’un chouïa. Ce qui est censé être léger, racé, reste vain, mammouthesque, artificiel, l’action la plus élaborée comme les effets de manche du scénario atteignent laborieusement le plus bas niveau d’intensité d’un banal 007, et on se demande au final s’il n’aurait pas mieux valu que le film soit clairement beauf, à la Besson. Dans cette vulgarité-là, les aventures du playboy milliardaire auraient pu gagner une décontraction libératrice, probablement moins antipathique.
Sommet de ce guindage ridicule suintant de frime poseuse, les acteurs, tous plus mal dirigés les uns que les autres. Tomer Sisley, moins charismatique qu’un parpaing, se maintient dans une posture de sobriété virile tellement forcée qu’il embourbe le film dans une parodie consternante de lui-même : une grosse pub masculine très pédante, dégoulinante de clichés grand luxe, totalement dévitalisée, absolument dépourvue d’humour. Ce n’est pas un hasard si le quart d’heure comique est circonscrit au laquais de Winch, une sorte de Nestor maladif, théâtral et souffreteux, à la diction épouvantablement monotone, dont on suit les pérégrinations en parallèle à celles de son maître. Outre que le rire est perçu comme une activité de pauvre (Sisley, ancien comique, qui a récemment reconnu que le stand-up n’était qu’un moyen de se faire connaître, ne le démentirait pas), cette manière de segmenter chaque chose, de tout réduire à une codification binaire, trahit l’impuissance du film, étriqué à mort, monocorde, incapable d’incorporer la moindre variation, la moindre personnalité.
Mais c’est Sharon Stone qui s’impose comme la clé du désastre. D’abord pour l’impression assez malaisante que dégage d’emblée, et malgré les efforts de Salle, sa présence ici : celle d’une star clairement blette qui, faute de mieux, cachetonne en Europe comme les stars du foot finissent leur carrière en Grèce ou en Turquie. Rien de foncièrement indigne, mais il apparaît évident que la Sharon 2011 n’a plus rien d’une figure mythique, et qu’on est loin de la valeur ajoutée et du prestige rêvés par le film. Le clin d’oeil moisi à Basic instinct, en préambule, suffit à figer le film au rang d’ersatz, désamorçant tout fantasme hype et new look. Car derrière le high tech des bagnoles ou des suites de luxe, le film est sans cesse ramené à des images vermoulues, à des peaux fripées, des figures décharnées : Sharon donc, beauté trafiquée qui s’étiole dès qu’elle s’anime, un Laurent Terzieff au seuil de la mort, les paysages habituels du cinéma d’action des années 80 (la Thaïlande, le siège de l’ONU). Embarrassant tout au plus, ce spectacle n’a rien d’émouvant : Jérôme Salle, incorrigible kakou, ne voit dans ces ruines qu’un signe extérieur de richesse.