Moins connues que ses brillantes réussites dans le film noir, les quelques incursions de Fritz Lang dans le western ne passent pas pour d’inoubliables classiques. Rancho Notorious, son western le plus célèbre, du fait de la présence de Dietrich, est pourtant à la hauteur des grands films de la période hollywoodienne de Lang. Annonçant (par l’usage de la couleur comme par les thèmes) le somptueux et crépusculaire Moonfleet, réalisé trois ans plus tard, Rancho Notorious est lui aussi un film d’aventure sombre et obsessionnel. Vern, un jeune homme dont la fiancée a été tuée dans un braquage, se lance à la poursuite des meurtriers. Il rencontre Frenchy, un sympathique bandit de grand chemin, avec qui il échoue à « Chuck-a-luck », un ranch tenu par la belle Altar, une aventurière qui, lasse de rouler sa bosse, a fondé une sorte de refuge pour hors-la-loi de passage. Vern y cherche l’assassin, tout en gardant secret son désir de vengeance.
« Love, hate, and revenge », comme dit la chanson du film : ce sont effectivement les ingrédients classiques de cette histoire, que le cinéaste a cherché à transcender pour lui donner une portée presque tragique. Pourtant, loin de snober les conventions du genre, le vieux maître allemand joue le jeu : « J’aime le western, il contient une éthique très simple et très nécessaire », déclarait-il. De même, on sent dans L’Ange des maudits un plaisir de raconter, de montrer, de photographier, même le carton plâtre de seconde main qui sert de décor au film. Quoi qu’en disent les mauvaises langues (sans jeu de mots), pour qui le talent de Fritz Lang était irrémédiablement lié au noir et blanc, son premier film en couleur est une réussite du point de vue photographique. Par ses teintes discrètes, son ambiance légèrement brumeuse et onirique, le film échappe à l’habituelle coloration clinquante et saturée du Technicolor.
Côté scénario, Rancho Notorious est d’une écriture bien moins conventionnelle qu’il n’y paraît. Le cheminement du héros va du désir de vengeance à la rencontre de l’amitié et de l’amour, et le film, après le point de départ tragique, obéit à une structure digressive plutôt surprenante. Et qu’importe que les acteurs soient décevants -Marlene fait un peu semblant, et Mal Ferrer est un héros bien terne- puisque histoire et personnage fonctionnent à un niveau supérieur, le seul qui intéresse Lang : une opposition brute de forces, de volontés et de destins contraires. Il y a dans ce film (qui bénéficie par ailleurs d’excellents dialogues) tout ce qui fait la grandeur de son cinéma, ainsi qu’une forme de pessimisme apaisé et généreux en accord entre les thèmes profonds du western. Ainsi, le dernier couplet de la chanson qui accompagne l’image montrant les deux amis chevauchant loin du ranch : « Ils moururent le même jour, quand leurs revolvers furent vides. » Un must, à redécouvrir.