Voilà plusieurs années, dans les 80’s précisément, Wim Wenders l’Allemand était le cinéaste américain par excellence, plutôt le plus américain des cinéastes américains. L’Ami américain, Paris Texas, Nick’s movie : s’était cristallisée, autour de ces films-là, une humeur proche de l’idée chère à Daney de mort du cinéma. Et curieusement (ou peut-être pas), et illogiquement (ou peut-être pas), Wenders n’a cessé après Nick’s movie, son film le plus funèbre (l’agonie de Nicholas Ray), de repartir outre-Atlantique. Pour y filmer quoi ? Une Amérique déserte et bitumeuse, toujours post-quelque chose. Encore, Wenders, aujourd’hui, est plus américain que les Américains, et même beaucoup trop (exception faite du doublon Buena Vista social club et The Soul of a man). The End of violence, l’imbuvable The Million dollar hotel et désormais ce Land of plenty. Post-chute dans le monde des images ; post-chute des anges ; aujourd’hui, post-11-Septembre.
Post-wendersien surtout, tant l’assèchement terrible du style, désormais étouffé par un vouloir-dire obèse qui, le plus souvent, accouche d’une souris, s’est tristement replié sur un autisme inconséquent. Land of plenty emprunte son titre à une chanson de Leonard Cohen, dont le style gomme d’années en années toute aridité et tous ricochets au profit d’une certaine rondeur cosy. Idem chez Wenders, en bien pire, puisque chez lui l’agonie du style se double d’une inflation-baudruche du propos. Le film met en scène deux courses parallèles appelées à se rejoindre. D’un côté, un vétéran du Vietnam mal remis de la jungle, totalement parano, persuadé que les ennemis de l’Amérique sont là, se trimballant dans une camionnette high-tech d’où il épie les faits et gestes des Arabes qu’il croise. De l’autre, sa nièce qu’il n’a jamais connue, chrétienne fervente revenue d’une longue escapade au Moyen-Orient. S’approchant l’un de l’autre, ils font le voyage depuis L.A jusqu’à Ground zero, pour retrouver l’essence de l’american dream. Confondant de naïveté et nourri d’un certain angélisme des origines, Wenders se force à entreprendre une quête, un pèlerinage que personne ne lui demande. Désormais son désir est tout entier conduit par ce rapport à l’Amérique qu’il a tellement mastiqué qu’il n’en reste plus rien, juste le rêve de se fondre avec un pays imaginaire, comme si la mort qu’il avait enregistrée (Ray, le cinéma américain) n’était plus rien. Tout ce qui lui reste d’énergie, il le met pour filmer un drapeau américain claquant au vent : c’est, dit-il, son film le plus politique.