Etrange visite. Curieux film, libre, rétif à tout embrigadement. Film curieux aussi, curieux des autres, cherchant sa voie entre la fiction et le documentaire, cheminant comme son personnage à travers le réel sans jamais s’enraciner dans un type particulier de récit. Il va sans dire que derrière son apparente clarté, sa simplicité, sa linéarité (le film aurait pu s’intituler « la ligne ») le premier film de Nicolas Guicheteau ne se laisse pas si facilement appréhendé. Son personnage, une fille sans identité, ni clocharde céleste, ni routarde, mi-terrienne mi-extraterrestre, parcours un fil qui va de la France à la Belgique, de la Belgique à la France, passant de rencontres en rencontres, d’intérieurs en extérieurs, et de trains en marche à pied, toujours hébergée chez l’habitant.
Pourtant, ce qui frappe d’emblée, c’est ce refus du sens, du road-movie comme leçon de chose, apprentissage de l’altérité ou d’une éthique du voyage. Les rencontres ici sont filmées pour ce qu’elles sont, sans aucune volonté discursive ou moraliste. Ni gain ni perte en quelques sorte, mais une sorte de « blanc » fictionnel si bien que le film tend vers l’épure et refuse toute valeur ajoutée. C’est, pourrait-on dire en reprenant Kiarostami à propos d’un de ses derniers essais filmés, un film qui lave le regard. Pas question pour l’héroïne de tirer des conclusions de ces rencontres de passage, de ces accueils simples et sans afféteries. Pas question non plus pour les personnages rencontrés (des personnages littéralement documentaires, c’est ça qui est beau ici) de sortir différents après cette venue inopinée, à mille lieues du Théorème de Pasolini dans lequel un jeune homme angélique faisait sortir les membres d’une famille de leur gonds bourgeois.
D’ailleurs, s’il fallait chercher le signe timide d’un discours dans La Visite, ce serait davantage du côté de la mémoire ouvrière, les gens qui l’hébergent appartenant essentiellement à cette classe sociale, exception notable des scènes de TGV où l’on sent la population plus argentée : la mobilité serait-elle le fait de la petite ou moyenne bourgeoisie ? Le film ne problématise jamais vraiment tout cela, comme si le sens était systématiquement en creux, à la périphérie d’un récit qui adopte l’attitude énigmatique de son personnage (très étrange Joanna Grudzinska). Faut-il voir alors le premier et beau plan du film (l’héroïne sur un tas de pavés observant le lointain) comme un allant révolutionnaire, l’indice d’une porte dérobée à l’intérieur du film, d’un hors champ social ? On ne le saura jamais et, à une époque où l’on ose faire un remake franchouillard de Boudu, à une époque où les films ne sont plus que des vecteurs de commentaires, cette absence est incroyablement régénératrice.