En voila un film qu’il a un coeur gros comme ça ! Beauf de toutes régions, si possible analphabète, campagnard et tétant ta bibine avachis sur un comptoir PMU, La Vie est à nous est pour toi. Tu y liras l’espoir, les joies et la souffrance de ta condition, on te taillera un costard, puis on te tapera dans le dos en rigolant bien fort. Illustre cinéaste de bar des sports (Taxi 2, L’Eté en pente douce, avec Villeret en simplet bouc émissaire d’une ville du Sud, c’était déjà lui), inconditionnel de la France d’en bas qu’il brosse de giclées poétiques en charges truculentes, Gérard Krawczyk a mis ses tripes à l’air, il a tout osé, tout tenté. Qu’on l’exècre ou pas, impossible de ne pas lui reconnaître une sincérité de tous les instants qui imprègne le moindre plan ou faute de goût. Faute de goût dit-on ? Plus grave encore, mauvais goût car non seulement La Vie est à nous n’est pas un film raté, mais c’est même tout le contraire : un monument de maîtrise à l’intérieur duquel rien n’échappe à l’oeilleton de Gérard, qui de faiseur popu bessonnien passe direct apôtre de Patrick Sébastien.
L’histoire suit la destinée d’un village dégénéré et fier de l’être. Après l’enterrement de Pépé à qui on laisse un portable dans le cercueil pour l’informer des nouvelles d’ici-bas (attention poésie), Mémé retourne dans son café, s’assoit dans son fauteuil, écoute les gens parler, surtout sa fifille désormais tenancière et emblème du troquet. En face, même combat : le bistrot concurrent épie, commère, appâte les poivrots. On croit à une lutte acharnée entre les deux établissements, corde raide et sèche d’une pitrerie d’un autre âge que Les Inconnus n’auraient pas reniée. Sauf que pas du tout : Krawczyk voit plus loin, il déconstruit la moindre parcelle de comédie pour se lancer dans un délire surréaliste où rancoeur sociale, poujadisme indéterminé (CGTistes et vieux réacs, même combat), textes fleuris et métaphores graisseuses s’enlacent joyeusement.
D’où un non rythme qui accepte volontiers le labeur, pesanteur que renforcent les acteurs, pénibles ou pathétiques, on ne se prononce pas. Performance sacrément détraquée (à l’exception de Canto, ici routier, toujours égal à lui-même), mélange de phrasés robotiques, de théâtralité et de grimages bizarres, que le flottement de l’action fait en permanence osciller entre empathie et répulsion. Balasko en grand-mère de 75 ans, force son accent plouc pendant que Sylvie Testud compose une névropathe héroïne, bonne fille simple dont la dinguerie hystéro confine au malaise absolu. D’autant que le regard de Krawczyk s’avère aussi malsain que le personnage, montrant ses deux facettes dans une sorte d’atroce no man’s land d’opinion, qui s’acharne et s’extasie en même temps. Rarement actrice n’a parue aussi seule, lâchée par une intrigue dont elle occupe une place indéterminée, rongée par une logorrhée épouvantable d’artificialité et de violence cul-terreuse (« c’est pas vrai c’que j’dis ? » assénée toutes les trente secondes). Surtout que le film n’en finit plus de tourner en rond, répète les formules ou les scènes jusqu’à l’épuisement (le coup de fil au cimetière, ritournelle abominable), fait danser vieux croûtons, bourgeoisie déguisée et épaves du show bizz dans une ronde macabre profondément ignoble. C’est dire l’horreur, on a presque l’impression d’en manger.