Le cinéma chinois est fort d’une constellation encore un peu indécidable de jeunes auteurs écumant les zones franches de la société. Mais les films répondent presque systématiquement à des codes post-Jia Zhang-ke trop affirmés pour ne pas affaiblir légèrement leur portée, entretenant une sorte de confusion un peu lisse. Avec leurs teintes grisou, leurs héroïnes blafardes à cigarette, leur manière de filmer avec une sorte d’accablement calme l’effondrement d’un monde, toute une nuée de séries B d’auteur peinent à émerger de cette uniformité cafardeuse où les fumées d’immenses zones industrielles s’offrent en seul horizon esthétique. De cette veine mélo-social en milieu ouvrier (avec sa scène de suicide manqué, sa scène de cigarette en plan-séquence, sa scène de pétage de plombs en boîte de nuit…), La Tisseuse se dégage peu à peu grâce à la délicatesse aiguisée de son écriture, un raffinement élevant sa petite normalité néoréaliste. Le scénario ne promet pas grand chose : les dernières semaines d’une jeune et jolie manutentionnaire (Yu Nan et son charme irréel) qui, apprenant qu’elle souffre d’une leucémie, tente de revoir une dernière fois l’amour de sa vie à Pékin, délaissant pour quelques jours fils et mari fidèle.
Cette échappée ne dure peut-être pas plus de vingt minutes, mais, soigneusement amorcée par le morne enchaînement de la première moitié du film, se charge d’’une puissance émotionnelle assez inouïe. A se diffracter en une multitude de lignes-de-fuite (intime, sociale, géographique) jusqu’à trouver refuge dans cette parenthèse amoureuse, cette chronique d’une disparition se charge d’un lyrisme d’autant plus bouleversant qu’il demeure silencieux, suspendu à de sourdes bulles impressionnistes (le voyage en bus au bord de la mer). Dans cette logique, aussi anodin soit-il, le mcguffin de la photographie du couple platonique prise à la volée par deux touristes est prodigieux, ouvrant le cliché vers un espace-temps évaporé de la mémoire (le regard qui fuit, et fait littéralement dériver l’horizon de la photo). Cette manière de fuir discrètement vers le mélo le plus pur, de s’en remettre au secret si simple et si beau d’un amour perdu, donne à toute la dernière partie, jusque dans sa triste continuité, une profondeur déchirante.