Alors que The Proposition, western réalisé en 2005, sort en même temps, La Route offre au quasi-inconnu John Hillcoat le privilège de débouler comme l’invité-surprise de cette fin d’année. Premier coup de force : l’adaptation attendue au tournant du roman-culte de Cormac McCarthy réussit le pari de ne pas décevoir les lecteurs du plus grand écrivain américain contemporain. Mais surtout : le film, malgré une guirlande de références lourdement cinéphiles (on est, pour aller vite, entre les papys Romero ou Carpenter et le Danny Boyle de 28 jours après), s’impose par sa singularité, porté de bout en bout par une dimension mélodramatique qui, si elle ne fait que reprendre à la lettre les grandes lignes du livre, parvient à imposer un fond de jeu souvent surprenant. La relation fusionnelle père / fils sur laquelle repose le récit diffuse une puissance d’envoûtement rare (merci quand même la performance ahurissante de Mortensen) et l’enchaînement des séquences dans une Amérique de fin du monde gagne en profondeur à mesure que le film suit le fil affreusement linéaire de sa voix-off caverneuse et profonde.
Capable de distiller l’effroi sans forcer – les milices cannibales qui menacent de surgir n’importe quand – Hillcoat sait surtout comment entretenir le feu de son récit picaresque. Les séquences progressent selon une logique d’accélérations (ellipses, sautes) et de suspensions (la parenthèse magique dans la cave bondée de provisions) qui doivent probablement autant au roman de McCarthy qu’à la force tranquille de conteur du cinéaste. Et si la menace de se laisser charmer par du beau cinéma illustré est omniprésente (Hillcoat brille plus par son tact et sa finesse que par les prodiges d’une mise en scène se limitant au strict minimum figuratif), c’est avant tout par son côté cérébral que cette fiction d’apocalypse fonctionne – le récit défiant constamment la vraisemblance pour mieux faire surgir son univers SF comme une sorte d’arrière-fonds onirique s’enroulant autour de l’agonie promise dès le début (la mort du père). Fuyant le réalisme, La Route perd peut-être en impact et en brutalité ce que son récit gagne en capacité d’affabulation, comme porté par un souffle un peu magique : là réside probablement sa belle et précise puissance de séduction, un art de l’abstraction entre conte philosophique et blockbuster planant.