Le malaise après projection de La Reine des pommes s’explique-t-il par son ingénuité aux yeux de biche ? Rares sont les films disposant d’autant de bonnes intentions, voire de volontarisme à disserter sur les charmes désuets d’un romantisme un peu godiche. Alors certes, le film sait se faire désirer en imposant son argument avec un bel aplomb : une jeune femme (Donzelli elle-même), affligée d’une guigne persistante, se fait plaquer par celui qu’elle croyait être l’homme de sa vie. Inconsolable, la belle nigaude se laisse convaincre par son entourage de s’adonner aux griseries de l’hédonisme sexuel. Malheur : impossible d’effacer le visage du Bien-aimé du corps de ses nouveaux amants (le même acteur jouant tous les rôles). On comprend bien l’intention, terriblement ostentatoire, de se poser avant tout comme friandise pop sur les stigmates indélébiles d’une idylle avortée. La sophistication intellectuelle, masquée sous l’emballage d’amateurisme, n’a de cesse de renvoyer à des héritages poids-lourds : un peu de Nouvelle vague et son immémoriale énergie pour tourner vite et à tout prix, Demy en sourdine pour l’ésotérisme en-chantédevant les affres de la réalité, ou bien encore (emportons-nous) Hitchcock et son Vertigo pour le Doppelgänger passionnel. Cette assurance de glaneuse, que l’on plaide souvent pour encenser un premier film, est-elle la responsable d’une défaillance globale ?
Le problème est tout autre : l’ambition est peut être ce qui sied de mieux à La Reine des pommes. Mais celle-ci finira bien par se stériliser, sans échappatoire stylisée vers l’accomplissement. Le film prend souvent prétexte de ses faiblesses pécuniaires et, à force de pamoison dans le bricolo-cheap, c’est toute une embarcation qui se noie. Ne reste qu’un empilement de scènes objectivement cagneuses (par l’image comme par le ton), sans véritable liant pour donner une cohésion identitaire. Il semble bien regrettable de croire que la création fauchée doit forcément s’affranchir d’un minimum d’apprêt esthétique. L’enjeu n’est pas d’espérer une réorientation vers la stase esthète (des reproches réversibles pourraient tout aussi bien être soumis au Single man de Tom Ford). Plutôt de croire au bénéfice du doute : un rééquilibrage des forces de Donzelli, bien réelles mais pudiquement masquées sous la fatrasie apathique, serait bienvenu en vue d’un second long métrage.