Comment diable la comédie sentimentale a-t-elle pu devenir en quelques années le traîne-savate du cinéma hollywoodien, son genre le plus ringard, réservoir sans fond de scripts crapoteux pour réalisateurs gourds, cependant que son versant masculin, la geek comedy entamait sa mue adulte, sous l’égide d’un Apatow déchainé et de Farrelly apaisés (la doublette dorée Terrain d’entente et 40 ans, toujours puceau, en 2005) ? Dans cette procession de navets plus ou moins droitiers (Ce que pensent les hommes, Meilleures ennemies ou L’Abominable vérité, pour ne citer que les récents), La Proposition figure en bonne place, malgré les quelques espoirs suscités par son casting (Sandra Bullock et Ryan Reynolds, on y revient) et sa réalisatrice, Anne Fletcher, auteur du beau Sexy dance (si si).
Margaret Tate (Sandra Bullock), brillante éditrice en chef d’une grande maison new-yorkaise, fait régner la terreur sur son open space moquetté (Le Diable s’habille en Prada aussi chez Gallimard), jusqu’au jour où ses patrons lui annoncent que son visa de travail arrive à expiration (Margaret est Canadienne, mince) et qu’elle va être expulsé du territoire américain (postulat peu probable mais intéressant). Alors, elle force fissa son corvéable assistant (Ryan Reynolds, qui jouait dans une des dernière rom’com’ regardable, Un Jour sans fin) à convoler en noces blanches pour obtenir la précieuse nationalité ; sauf que le Besson local veille au grain et contraint les faux tourtereaux à jouer au mieux la comédie du pré-mariage… Dans cette première demi-heure enlevée et drôle, Anne Fletcher vise une certaine efficacité hawksienne (His girl friday), qu’elle effleure lors d’une poignée de répliques screwball entre mâle mollasson et hyène revêche, idéalement jouée par Sandra Bullock, dont il faudra un jour célébrer le talent comique à sa juste valeur (notamment chez Marc Lawrence, le seul véritable auteur de comédies sentimentales aujourd’hui, avec L’Amour sans préavis ou Le Come-back).
Beau début donc, et puis plouf. Dès lors qu’il se transfère de New York à L’Alaska (pour un week-end de fiançailles chez les beaux-parent), le film plonge dans les eaux boueuses de la réaction, comme s’il fallait marquer géographiquement son virage idéologique, montrer à ces maudits liberals de quelle bois se chauffe l’Amérique, la vraie. Pour Anne Fletcher (et bonne part de ses collègues, hélas), une femme qui impose son leadership et consacre plus d’énergie à sa carrière qu’à ses amours est forcément une garce (c’est bien le moins) ; mais c’est surtout, fondamentalement, une anomalie. C’est qu’elle n’a pas trouvé de bras assez musclés pour la faire tressaillir, c’est qu’elle n’a pas rencontré l’Homme qui fera vibrer son gros coeur caché sous le tailleur-chignon… Il s’agira donc, par le menu, de la ridiculiser (piètres scènes burlesques pour montrer combien il est difficile d’évoluer en talon haut chez les ploucs), de calmer son hystérie (un bon bain d’eau glacé), de moquer sa frigidité (ôtez ce strip-teaser de ma vue) et surtout, surtout, de l’humilier en public (sidérante scène d’aveu à l’Eglise). Et au terme de ce programme de rééducation, elle pourra enfin l’avouer tout haut : le boss, c’est lui (clin d’oeil). On aimerait croire à la maladresse, à l’ironie mal maniée, mais certains détails ne trompent pas : comme ce patriarche bourru qui traite son fils liberal de fiotte, mais que le scénario s’empresse de ramener dans la communauté des braves gens ; ou ce factotum mexicain, seul « bronzé » du village, dont la clandestinité fait (à la toute fin) l’objet d’une bonne blague. Une blague comme on les aime en Alaska ou à Seignosse : un chicano ça va, c’est quand il y en a plusieurs que…