Pour son second film, Michel Piccoli s’est emparé du récit de François Maspero, à propos duquel Jorge Semprun a écrit : « cela se passe dans un pays dont le nom n’est pas dit. Qui n’est même pas identifiable. Dans La Plage noire comme dans les texte de Borges ou de Kafka, ce n’est pas la vérité géographique ou historique qui compte, mais celle, métaphysique, du symbole concret. De l’univers imaginaire de la vérité… » Ce commentaire littéraire a été transformé par Piccoli en défi cinématographique. Celui de construire un décor qui évoque à la fois Brecht et Kafka : La Plage noire commence dans une cellule humide par un simulacre d’exécution, se poursuit dans un appartement décati puis sur un littoral insituable, un bout de monde où A, le héros, se réfugie. Figure d’une époque révolue pour son pays en période de transition politique violente, A. est traqué pour son passé et ses écrits, de même que son ami Sider, poète révolutionnaire. Il laisse sa femme (Dominique Blanc) pour partir seul avec sa fille Joyce dans la maison de son enfance, près de la plage noire.
A l’évidence, Piccoli a su créé un flux original de mots et d’images, qui forment un film neuf et atypique, porté par la présence ténébreuse, aussi tendre que virile, de Jerzy Radziwilowicz. Bientôt clandestin dans son pays, fugitif de sa propre vie, A. retourne vers son enfance en compagnie de sa fille. La Plage noire n’a pourtant rien d’un « Mon père ce héros » dans la Roumanie d’après Ceaucescu (une page d’histoire sur laquelle l’auteur semble avoir posé son calque). Piccoli ne déploie pas de véritable narration, mais montre seulement l’intimité et les jeux de A. et de sa fille, les conversations avec sa femme, fragments d’une vie imaginaire, progressivement gagnée par la mort et par l’ombre. Le film, dépouillé de tout sentimentalisme, observe cette progression sur son héros, mais jamais ne cherche à nous le rendre plus familier. C’est sans doute la beauté de La Plage noire, mais aussi ce qui le prive d’une certaine intériorité, et le rend aussi formaliste (et donc assez ennuyeux). Certes, ce formalisme ne manque pas d’invention ni d’intensité : aux jeux de lumières somptueux s’ajoute un montage tout à fait personnel et ressenti. Mais cette saturation en effets de scène et de lumière recouvre en partie la beauté du texte, et fige l’émotion dans la perfection opaque de l’image. Les séquences montrant A. aux prises avec une administration kafkaïenne, avec un casting digne d’un film de Buñuel, prouvent pourtant l’audace et le talent de Piccoli metteur en scène. On regrette alors que son film louvoie tant avec les émotions, qu’il nous tienne ainsi à distance du récit et des personnages, et s’englue quelque peu dans le flou de ses intentions.