Autant que pour son envers veule et populaire, sale temps pour le divertissement français de série A (comme auteur), comme en témoigne cette Moustache précédée d’une flatteuse réputation (Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes 2005). Marc, un bon mari (Vincent Lindon), se rase la moustache et attend la réaction de sa femme, puis de ses proches. Grosse angoisse quand il s’aperçoit que personne ne remarque le changement, allant jusqu’à nier le fait qu’il ait un jour porté ladite moustache. Entre Lynch et Bonitzer, Emmanuel Carrère adapte son propre roman : résultat nul si l’on excepte la première séquence, Lindon moustachu suspendu quelques instants dans l’intimité d’une salle de bain. Moment d’étrangeté éphémère bientôt suivi d’une piteuse normalité. Soyons de mauvaise foi : on a toujours connu Lindon sans moustache, que personne ne le remarque une fois rasé n’étonnera donc personne. CQFD : pas de quoi en faire un film.
La Moustache dure 1h26 (durée type du projet bâtard) et paraît en faire 2h30. Au bout de dix minutes assez amusantes (le mari qui rate son effet), les problèmes commencent. Dur de faire du Lynch avec un argument si maigre, encore plus quand le talent du cinéaste à générer de l’étrangeté peine à se hisser au-delà de celui d’un Claude Zidi ou d’un Francis Weber. Désarmé, Carrère s’en remet donc aux écueils de la petite comédie domestique bourgeoise. La sacro-sainte ritournelle de l’étrangeté au sein de la cellule amoureuse se mue en gravité naturaliste, une scène de restaurant entre Marc et sa femme se transformant en grand moment de pathétisme expérimental : montage délirant, musique pompeuse, tentative de river le destin du petit couple médiocre à la démesure du grand chaos universel. Le film touche alors le fond.
Là encore, l’échec à imposer une quelconque rigueur au projet impose de passer vite à autre chose. Nouveau genre, encore plus hype : l’errance, la Bohême avec accent circonflexe, le voyage sans objet au bout du monde. Marc s’envole pour Hongkong, flotte, se laisse engloutir par la dépression. Le film prend alors des allures de version beauf de L’Intrus : imagerie bohème de pacotille, métaphore du suicide au monde, effets oniriques où s’efface bientôt tout repère existentiel. Beaucoup trop sérieux, raide, empoté pour se frotter à pareilles ambitions, La Moustache est le parfait envers au délicieux Aïe (Sophie Fillières) sorti il y a quelques années : une fable métaphysique prétentieuse et vaine, sans une once de fantaisie, fade et lisse comme un lendemain de fête qui n’aurait pas existé. Pas un gramme de cinéma ici, juste un affreux roulis de platitude et de médiocrité.