The Bourne identity, roman d’espionnage de Robert Ludlum, fut adapté pour la télévision dans un film avec Richard Chamberlain récemment diffusé sur France 3. Cette seconde adaptation par Doug Liman, réalisateur des jubilatoires Swingers et Go, se démarque de la précédente par une volonté d’épure et de simplification saisissantes. Basé sur un récit extraordinaire (un jeune homme remonte dans son passé et découvre qu’il est une arme de la C.I.A.), le film de Liman n’exploite que très peu le potentiel schizophrénique du roman pour ne se concentrer que sur ses vertus purement cinégéniques.
Le résultat, loin du téléfilm ennuyeux et incompréhensible avec Caine, est une sorte de polar high-tech proche de l’abstraction revenant aux sources d’un cinéma d’action très naïf: un dispositif binaire (une scène de calme / une scène explosive) doublé d’une mise en scène extrêmement sophistiquée qui prend le pas sur toute velléité métaphysique. Il n’y a dans La Mémoire dans la peau que très peu de scènes à caractère psychologique (la question du double y reste en suspens), juste de quoi alimenter chaque mouvement du film et de son personnage principal : la beauté du geste y est le seul objet d’investigation. Cet aspect limité est à la fois ce qui rend le film décevant -après une ouverture magistrale, tout n’y est plus que frénésie techno-cinétique- et ce qui le rend passionnant. Sorte de mécanique pure, La Mémoire dans la peau perd en profondeur ce qu’il gagne en vigueur instantanée, à la manière d’une démonstration qui ne bascule jamais dans l’exercice de style.
S’il semble tourner parfois à vide, le film de Liman garde toujours une foi en ses principes qui lui permet de rester comme suspendu au-dessus de son remarquable concept. Le héros incarné par Matt Damon, découvrant ses pouvoirs phénoménaux à mesure que le film se déploie, possède une force élégante et naturelle qui emporte tout sur son passage. Rapidement, le récit d’espionnage paranoïaque se mue en ligne claire (un long voyage entre Marseille, Zurich et Paris), dans une harmonieuse et nonchalante fluidité. Il y a là, plus qu’une tentative de simplification, une façon formidable de redéfinir les bases du cinéma d’action moderne : goût pour les vertiges de l’apesanteur proche du jeu vidéo, destruction des limites spatio-temporelles classiques (on passe d’un point à l’autre du globe en deux plans), retour vers une sorte de pureté affranchie de tout élément-parasite (pas d’intrigue secondaire ou de prolongements inutiles : juste une fuite en quasi-temps réel). Son élégance comme son énergie donnent à La Mémoire dans la peau un aspect jouissif et revigorant, une beauté de tous les instants oscillant entre douceur feutrée et voluptés aériennes. Compilant efficacement toutes les nouvelles données de l’action-movie nouvelle génération (la constellation Die hard 3 – Matrix – Mission : impossible – Incassable), le film de Liman est à la fois un pur produit -aucune ambition d’auteur, juste un authentique ouvrage de « film-maker »- et un film-symptôme, prototype abouti de tout ce que le cinéma d’action US contemporain possède d’ébauches de promesses et de renouveau assuré.