Il y a quelque chose d’infiniment satisfaisant à l’idée d’un documentaire sur la Maison de la radio, quelque chose qui redonne au documentaire toute sa dimension de regard dans un trou de serrure, de petite souris partant satisfaire sa curiosité. Et précisément, avant d’être informatif, La Maison de la radio semble avancer à l’énergie de sa curiosité, de son voyeurisme de caméra-souris. Comprenant qu’il suffisait de montrer (et de monter) pour que ça prenne, Philibert ne fait ici rien d’autre que de rendre à la radio la monnaie de sa pièce : s’infiltrer chez elle comme elle s’infiltre chez nous.

 

C’est que les limites en même temps que le mérite de Nicolas Philibert tiennent tout entiers dans cette idée de récolte d’images qui se suffit à elle-même, choisissant pour cela de calquer le montage sur celui d’un zapping qui serait ici radiophonique. La zapette passe et repasse sur certaines chaînes, s’arrête au milieu d’une phrase pour la reprendre plus loin. C’est d’abord une belle idée (comme si un rassemblement de voix ne pouvait se faire que lorsque celles-ci se font images, tel un zapping), peut-être aussi le seul traitement possible pour qui décide de donner une vue synoptique des coulisses de Radio France après l’avoir filmée pendant six mois. La Maison de la radio pourrait ainsi tout à fait durer trente minutes de plus sans que notre attention se relâche, parce que le zapping est comme un paquet de chips visuel. Soit un enchaînement d’images sans effet d’accumulation. On se sent léger du premier plan jusqu’au dernier, comme si chaque scène était à l’image des studios : imperméables, isolés, à l’abri de toute agglomération avec les autres scènes.

 

Compartimenté ainsi, le film donne le sentiment d’une immense fourmilière où chaque fourmi exécuterait sa tâche précise et minuscule. Il faut répéter, refaire, refaire mieux. En cela le film montre très bien à quel point la radio est d’abord un pur travail d’élagage permanent, de part faite au silence (qui, à la radio, est comme le contrechamp de la voix), de montage de plus en plus resserré : sélection et montage des informations, montage de phrases, de sons, puis de syllabes et de virgules – couper, tailler, ciseler, coller. Ce qui frappe dans ce travail jardinier de la voix, c’est qu’elle est aussi un visage ; visage et voix tiennent leur profondeur au même niveau que leur surface. La voix est toujours, comme le visage, au bord d’être faillible, au bord du précipice de sa propre vulnérabilité.

 

La Maison de la radio devient alors cette usine à traitement des eaux qui purifie la voix de toutes ses impuretés pour y récolter un mince et régulier petit filet de voix. C’est ce traitement que filme Philibert, toute cette chair autour de ce petit coulis de voix, ces cercles concentriques, dont le plus large serait celui de la forme cyclique du bâtiment de Radio France et le plus resserré celui du corps qui s’agite autour d’elle.

 

Pour autant, ce sujet, parce qu’il a précisément tout de suffisant, fait courir le risque à Philibert de s’effacer devant lui, il est en cela comme nous, happé par ses images, repu par le visible, mais pris au piège par l’illusion que le zapping se suffit à lui-même. Il a pourtant ceci de limité qu’il n’offre ni milieu, ni fin, ni début, mais s’embourbe dans sa circularité. C’est au fond la radio qui finit par avoir le dernier mot sur le documentaire, qui finit même par l’endormir, elle qui, invincible, est aussi insomniaque que lève-tôt. Elle finit par imposer sa forme au documentaire, ne se laisse pas attraper. Comme un serpent qui charmerait son charmeur.