Dans le contexte politique d’une course à la présidence qui a démarré peu de temps après la sortie américaine du film, on mesure assez la dose d’opportunisme qui a conduit Frank Darabont à adapter cette « histoire extraordinaire » de Stephen King. Chez l’écrivain, que le réalisateur avait déjà adapté pour son premier long métrage, il s’agit toujours, sous les dehors d’une intrigue fantastique à dormir debout, de torturer ce qui reste de conscience américaine, ou plutôt de nourrir l’inconscient monstre qui porte son pays à des travers calamiteux : ici, la peine de mort et un certain goût pour la chaise électrique, considérée par beaucoup comme un moyen possible de regagner son âme quand on fut assassin. Ces deux dimensions de l’identité américaine -attrait pour la violence, bondieuserie de grand-mère- sont au cœur de La Ligne verte. Or, si la forme de King est cette écriture rapide et fluide qui mène le lecteur à accélérer son rythme pour toucher vite au but, le film de Darabont est tout l’inverse : lourdeur et vulgarité, grandiloquence et pose philosophique absurde. Darabont a fait un film-débat et son pensum de trois heures n’est rien qu’un spectacle pour grands enfants américains en manque de conscience citoyenne.
De manière fort originale, le film commence par le flash-back d’un pépé qui en a gros sur la patate, sorte de retour vers le futur pratique qui nous plonge dans d’artificielles années trente : « C’est toujours plus facile de comprendre le présent en partant du passé », vieille rengaine civique et sans conséquences. Le pépé se souvient donc. Et de quoi ? D’un épisode fabuleux de sa vie, où, alors qu’il était gardien-chef d’une cellule de condamnés à mort -c’est Tom Hanks, dont la carrière reste un mystère-, il rencontra un prévenu hors du commun. Plongé dans ce passé de pacotille et la mémoire sans faille du pépé fatigué, l’histoire s’emballe à partir de trois fois rien : une infection urinaire, une souris baladeuse, une coprolalie incurable. Cet agencement d’éléments hétérogènes, censé faire ressortir avec plus de violence le rituel des exécutions et faire passer ce sentiment si humain que « la vie continue quand tout s’arrête pour un seul », finit par rendre grotesque ce gros morceau de cinéma. Le clou du spectacle est ce prévenu qui va changer la vie du personnage principal, idiot thaumaturge qui guérit ce qu’il « pense » : l’infection, la souris, la coprolalie.
Au fait, voilà le résultat du concours : c’est un très grand Noir, à la voix caverneuse, limité intellectuellement qu’Hollywood a choisi pour incarner la conscience de l’Amérique. C’est le seul bon point donné au film. On le lui retire aussitôt : le Noir, soupçonné à tort d’avoir violé et assassiné deux fillettes, finit sur la chaise électrique. Retour sur le pépé, toujours fatigué. On reste confondu. On croit parfois que c’est une blague. Et puis, on se rend à l’évidence : cette bouffonnerie, cette manière inconsciente de filmer une chaise électrique, c’est une définition possible du sérieux américain. C’est l’autre exception culturelle.