Présentés pour la première fois en France, les cinq films d’animation (La Légende de la forêt, La Sirène, La Goutte, Le Film cassé, Le Saut) qui composent ce programme permettront d’élargir l’horizon de ceux qui réduisent le dessin-animé japonais à la seule figure d’Hayao Miyazaki. Osamu Tezuka, inventeur entre autres du célèbre Astro Boy, fut en effet le précurseur d’une oeuvre indépendante, libérée des contraintes des grands studios comme la toute puissante Toei. Créateur en 1961 de sa propre société d’animation, Muchi Production, Tezuka n’est pas seulement un modèle d’émancipation artistique (parcours qu’il a d’ailleurs payé très cher en 1973 par une faillite personnelle dont il ne se remit jamais vraiment), il demeure bel et bien celui qui donna à l’animé nippon ses lettres de noblesse.
Stupéfiant par leurs trouvailles graphiques, les films du programme justifient pleinement la réputation avant-gardiste du maître. En y introduisant des éléments aussi novateurs que le montage, le gros plan ou le panoramique, Tezuka -fervent cinéphile- révolutionna le monde du dessin animé japonais et le fit sortir de sa « préhistoire ». Grâce à sa parfaite maîtrise des codes de la mise en image, il a su imaginer des œuvres originales qui questionnent sans cesse leur support. Dans Le Film cassé (1985), Tezuka parodie les vieux dessins animés du début du siècle et crée, quelques dizaines d’années avant le Forgotten silver de Peter Jackson, la première imposture cinématographique. Volontairement vieilli et « scratché », le film fait croire à un mauvais défilement des images et en profite pour faire sortir un cow-boy des lignes de sa case. Idem dans La Légende de la forêt (1987), projet ambitieux du cinéaste qui n’eut le temps de réaliser que deux des quatre parties prévues. Dans cette symphonie forestière sous-tendue par la musique de Tchaïkovki, Tezuka avait l’intention de passer en revue tous les styles qui forgèrent l’histoire du dessin animé. Les deux somptueux volets laissés en héritage par le maître donnent un aperçu de la démesure d’une oeuvre toute à la gloire de la nature, élaborant bien avant Miyazaki une pensée écologique.
Car Osamu Tezuka n’est pas seulement admiré pour ses dons de dessinateur mais aussi pour sa pensée profondément humaniste qui en fit l’un des grands défenseurs des libertés contre toutes les formes de totalitarisme. Dans La Sirène (1964) -sans doute le film le plus émouvant du programme- un jeune homme finit en prison pour être tombé amoureux d’une sirène que tout le monde voit comme un simple poisson. Manifeste pour la liberté d’expression, La Sirène est un tourbillon graphique quasi expérimental dans lequel Tezuka fait preuve de sa maîtrise de la ligne, ordonnatrice lyrique de l’histoire, et de son sens du détail (la longue mèche ondulée du héros contre le képi pointu du policier). Des années après le décès de Tezuka en 1989, ses films n’ont rien perdu de leur pertinence ni de leur superbe consacrant le talent encore inégalé d’un des plus glorieux héros de la bande dessinée.