Drôle de cas que celui de Robert Zemeckis. Réalisateur passionnant à bien des égards (cf. les très beaux Contact et Seul au monde), oeuvrant sur une ligne incertaine séparant l’habile faiseur du bon cinéaste, sans qu’on puisse jamais vraiment déterminer à quelle catégorie il appartient. Surtout, quelque chose rôde chez lui, qui prend une part croissante à mesure que les ans passent : les trucages numériques, véritable pierre angulaire de son cinéma, qui donnent à Zemeckis une identité particulière au sein d’une industrie hollywoodienne gloutonne en matière d’effets spéciaux. Certes, Beowulf, parabole sur le pouvoir, sur le fossé qui sépare la légende des faits à l’époque des Vikings, est assez décevant au regard de sa filmographie passée, mais le film creuse cette façon si particulière qu’il a de faire usage du numérique dans une perspective réaliste, comme si l’effet n’était plus qu’un copycat du réel, peut-être même son remplacement pur et simple. Ici même, plus encore que dans Le Pôle express, ce sont les acteurs (réels) qui par la technique de la performance capture offrent un corps qui va ensuite être numérisé, une peau, des gestes, des mimiques que l’on va infléchir pour générer toutes sortes de transformations plus ou moins subtiles ou radicales, un rendu vériste ou au contraire fantasmatique de l’enveloppe corporelle des acteurs.
Dans Contact ou Seul au monde, l’expérience numérique, virtuelle, relevait de l’aventure intérieure, mystique, quasi monacale pour les acteurs comme pour les personnages (la plongée de Jodie Foster dans le vortex extraterrestre ou l’isolement de Tom Hanks sur une minuscule île entourée d’une mer numérique). Quelque chose avait trait à la solitude de la chair dans l’environnement raréfié des effets spéciaux, effets arrivés à un tel de degré de réalisme que plus rien ne les obligeaient à cette cacophonie de démonstrations qui parsèment souvent ce cinéma (l’effet vendeur de chez Darty de la non moins passionnante saga Matrix). A la différence de Cameron, passionné lui aussi par ces possibilités de réalisme, le cinéma de Zemeckis avait gagné en silence, jouant même du fracas de l’agitation vaine et bruyante de la civilisation avec les expériences de ces êtres esseulés. On retrouve dans Beowulf, à de trop rares moments, ces puits de silence qui laissent les acteurs face à eux-mêmes, sans rien de physique à quoi pouvoir se raccrocher (lorsque le rôle titre pénètre dans la grotte par exemple). Mais quelque chose déçoit, parce que chez Zemeckis, c’était ce frottement de deux réalismes (la chair, le numérique) fondamentalement étrangers l’un à l’autre qui étaient mis en scène (Roger Rabbit où la réalité du corps de Bob Hoskins venait se frotter à la cohérence délirante de l’univers cartoonesque).
Même tentative ici, à travers cette performance capture qui aimerait donner aux visages le rendu clinique de la chair, mais tentative inopérante car tout ici est, au final, virtuel, comme si le numérique avait recouvert la réalité d’une fine couche gélatineuse et avait tué toutes les imperfections humaines. Il faut voir combien les corps échouent à donner la sensation de l’effort physique, de la fatigue, dans un récit qui pourtant réclame son lot de pesanteur et d’entropie (alors que le numérique a précisément engendré de nouveaux types de récits et de personnages depuis Terminator 2). Il faut voir aussi comment les yeux accouchent de regards morts (sans doute la gageure la plus difficile à tenir dans le pacte numérique), à l’instar de Final fantasy (mais qui précisément questionnait la notion d’âme, de ghost). Le numérique est fondamentalement asexué, au delà du vivant, si bien que la pulsion sexuelle très présente dans le récit (associée au pouvoir) se trouve sans cesse en porte-à-faux avec cette incapacité à générer de l’organique. Comme en témoigne la nudité réfrigérante de cette pulpeuse Angelina Jolie numérique, dont la chair n’est rien d’autre, à l’instar de Beowulf lui-même, qu’une idée.