Avec La Jeune fille de l’eau, Shyamalan franchit une étape supplémentaire et parfaitement logique dans le destin d’un grand cinéaste, le plus singulier et, partant, le plus important apparu à Hollywood ces dernières années. Autant le dire tout de suite, le film semble un ton en-dessous des autres films, mais seulement pour des détails. Avec lui, Shyamalan passe sans transition d’un chef-d’oeuvre absolu (Le Village) au commentaire immédiat, un peu boursouflé, de son cinéma tout entier, comme si le fait d’être arrivé au-dessus de tout le monde le sommait de reconquérir son oeuvre entière, d’en recollecter chaque instant, chaque pièce, en un vaste mouvement de relecture qui ne saurait en épuiser tous les trésors. Ce parcours se partage entre redressement classique (la prodigieuse épure a l’oeuvre dans Signes) et liturgie ésotérique (tous les films) a propos de laquelle on a pu parler, ici et là et à juste titre, de charlatanisme -ce que ses détracteurs formulent plus simplement comme une propension pathologique au ridicule. La Jeune fille de l’eau devrait ravir ces derniers, qui trouveront a ricaner devant la féerie de supérette qui s’y déploie. Tant pis pour eux. On ne leur sortira pas qu’il faut pour aimer Shy laisser s’exprimer l’âme d’enfant qui sommeille en eux -d’abord parce que ce n’est pas le genre de la maison (c’est un discours couillon et réactionnaire), ensuite et surtout parce qu’il ne s’agit absolument pas de cela ici, et qu’il ne s’en est jamais agi : c’est quelque chose d’infiniment plus riche et infiniment plus précieux.
Dans un incroyable décor, qui est une sorte de résumé condensé de tous les décors shyamalaniens (un immeuble surgi de nulle part, une piscine, une foret), un gardien -Paul Giamatti, pas génial, un peu trop performer, trop premier de la classe- découvre dans une piscine une sirène, ou plutôt c’est elle qui lui met la main dessus : elle est coincée ici-bas, elle veut retrouver les siens et a besoin d’aide, car des créatures maléfiques veulent l’en empêcher. Tout cela est expliqué très vite, car la femme-poisson n’a pas de temps à perdre : elle s’appelle Story. Nommer ainsi la sirène envoie sans détour le film vers une dimension méta dont il ne reviendra pas. La dimension méta, dans La Jeune fille de l’eau, prend la forme d’auto-citations (c’est, par pans entiers, Signes + Incassable) et de multiples commentaires par les personnages de la structure du récit, lequel est démultiplié : récit de l ……histoire de la sirène, et récit de ce récit -a story is a story is a story… C’est évidemment une structure très risquée, qui pourrait alourdir le programme d’un film par ailleurs clair comme de l’eau de roche (un conte pour enfants auquel, en l’occurrence, les enfants risquent de ne rien comprendre). Mais c’est aussi en ce point de bascule que tient le fantastique selon Shy : l’adjonction d’une rencontre sublimée (avec des morts, un double négatif, des extra-terrestres, des créatures sylvestres, une sirène, bref, avec un personnage de fable surgi dans le réel) et d’éléments narratifs rendus a leur blancheur originelle et comme renversés sur eux-mêmes.
Mi-sérieux, mi-loufoque, théoricien de fête foraine, Shy est un cinéaste ésotérique mi-classique (à la manière d’un Hitchcock, d’un Lang), mi-postmoderne. Son art s’articule sur une opération désormais bien définie, et que tous les films respectent a la lettre : déchiffrer le déchiffrement du monde, autrement dit une herméneutique contemporaine de la fabrication de ses conditions de possibilité. La grande originalité de Shy, c’est ce dédoublement, dont la scène primitive est mille fois rejouée : le personnage découvre (premier étonnement, que Shy filme si bien), que le monde est une énigme, ce qu’il ignorait au début de l’histoire / le personnage découvre (deuxième étonnement, que Shy filme si bien) que le déchiffrement de cette énigme est lui-même une énigme a résoudre, et qu’il occupe une place essentielle dans cette résolution. Il ne lui reste qu’a découvrir ce rôle qui est le sien (troisième étonnement, que Shy filme si bien). Alors il l’empoigne et le monde libère une charge surnaturelle, et le récit se précipite a toute allure vers son dénouement. C’est pourquoi les films de Shy ont plusieurs vitesses, plusieurs temps, et démarrent en différé, puisque chaque personnage réalise quel rôle précis il doit jouer dans l’histoire à mesure qu’elle avance (vers lui et vers son terme). Tout cela est limpidement mis a nu dans La Jeune fille de l’eau, d’autant que la Story elle-même vient s’incarner sous la forme d’un personnage (qui vient au gardien et s’en va vers son destin). Shyamalan est le cinéaste de l’étonnement, et vous pouvez toujours rire si vous ne voyez en lui qu’un charlot, l’étonnement est la condition sine qua non pour philosopher (dixit Aristote, qui en connaissait un rayon), et un bon moyen pour entrer dans les films.
Alors qu’importe la forme que prennent dans le film les instances du récit, qu’importe si certaines créatures sont moins réussies que d’autres, sublimes, et qu’importe si la narration s’appesantit parfois : rassurez-vous, pour célébrer une rencontre, pour filmer la translation d’un monde dans un autre (voire l’idée géniale du miroir, digne de Cocteau), Shy reste royal et sans rival. Dans l’absolu, La Jeune fille de l’eau est d’égale valeur que les autres films. Et tant mieux, mille fois tant mieux, si le déchiffrement du monde, la résolution de tout, est comique et se fait sur des paquets de corn-flakes : dans le cinéma de Shyamalan, le comique (ou bien le grotesque, l’aberrant) est le dos inquiet du fantastique, sa face cachée grandiose et dérisoire, son invraisemblable vérité.
Non mais comment on peut écrire autant de conneries sans parler de lhistoire du film ?
N’allez pas vous leurrer dans des « cinéaste ésotérique mi-classique », ce film est si ridicule que la seule partie qu’ils acceptent de montrer dans le wiki c’est une fille qui dit que son monde existe à travers une piscine. Ca plus des roles donnés tellement au pif qu’on finit avec un gamin prophète qui lit l’avenir du monde par ses boites de céréales, sans déc’ !
Ce film vaut autant qu’un Batman et Robin : qu’on se marre en le regardant avec des potes tellement il est mal pensé.