Si le nouveau film de Chabrol ne vient en aucun cas dévier le cours d’un cinéma volontiers pépère, bien dans ses chaussons, il parvient haut la main à reléguer, dans le même genre, le récent et pourtant sympathique Petites coupures de Pascal Bonitzer dans une sorte de seconde division (ou ligue 2) du polar familial maison, ou petit flirt entre thriller hitchcockien et réalisme social bien de chez nous. A quoi reconnaît-on une leçon de cinéma d’un film de bon élève ? A cette différence essentiellement : bien que tiré à quatre épingles, rigidifié au maximum, Petites coupures flâne (dans son discours) autant qu’il flotte (dans son suspense) ; Bonitzer voudrait être un maître, il n’est qu’un écolier assez doué. Bien qu’installé dans son côté « pépère » et assumé comme ludique et mineur, La Fleur du mal maintient un suspense constant et dévoile un discours clair comme eau de roche ; Chabrol voudrait jouer comme un garnement, il reste un maître.
Sur une trame ciselée comme du papier à musique, le film débute comme une banale histoire de familles croisées (une femme politicienne, un mari lubrique, la fille de l’un amoureuse du fils de l’autre, une vieille tante au lourd passé) pour évoluer vers une atmosphère mi-policière mi-sociale aux allures de fable incisive. Sa force repose sur une maîtrise consommée d’une sorte de classicisme suranné mais jamais rance (ce qui tient en quelques plans de géomètre, deux ou trois accords de musique, une science effarante du récit et de l’ellipse) et la précision diabolique du regard du cinéaste sur ce qu’il veut démontrer (chanson connue des vieux secrets bourgeois, tension entre tragédie intime et hypocrisie sociale). La bonhomie du film vient de la façon qu’a Chabrol de présenter un produit haut de gamme sous des airs de petite balade sympathique, le sourire en coin et sans jamais pour autant sacrifier au cynisme ou à la posture.
La Fleur du mal apporte donc peu de nouveauté, une qualité très attendue, mais à la différence de chaque nouveau Woody Allen, les nouveaux Chabrol sont de plus en plus enjoués et ne faiblissent pas. Le sujet de La Fleur du mal (les drames se répètent, la vie est un présent continu) peut être vu comme une négation du temps, mais aussi comme un hymne à la jeunesse perpétuelle du monde. La preuve par la continuité de la principale qualité d’un tel film : tant que le regard et l’esprit restent jeunes, les moteurs les plus éprouvés continuent de tourner.