Le cinéma de Patrice Leconte s’est toujours attaché à traiter, au travers de ses personnages et d’une observation en profondeur d’une France rétro (grade ?), de la ringardise et de l’élégance, et de la frontière ténue qui les sépare. Depuis Les Bronzés jusqu’à cette Fille sur le pont, la plupart de ses personnages oscillent et sont souvent partagés entre ces deux attitudes, ces deux visages, celui d’une France « plouc » et celui d’une France « chevaleresque », passant de l’un à l’autre sans qu’on puisse jamais, dans le cas des plus attachants, totalement se prononcer sur leur compte : ringard ou gentilhomme ? Le couple de Tandem (son meilleur film), l’animateur d’une sorte de Jeu des 1000 francs et son chauffeur, qui parcourt les routes de France, se révèle par exemple bien plus romanesque que notre première impression avait pu nous le laisser imaginer.
La Fille sur le pont n’échappe pas à la règle et traite sur le fil, une fois encore, de cette thématique à travers la rencontre de deux laissés pour compte qui évoluent au sein de mondes totalement différents, l’un daté et fauché (la foire, le cirque, les ponts), l’autre chic et fric (les casinos, les grands hôtels, le love-boat). Pour en finir avec la vie, Adèle (Vanessa Paradis, plutôt bien), une jeune femme qui n’a jamais eu trop de chance avec les hommes, se fout à l’eau. Repêchée tout au fond par un lanceur de couteau (Auteuil, en forme) pas mieux loti question fonds, elle accepte, n’ayant rien à perdre, même pas la vie, de devenir la cible de son numéro. Comme par magie, dès cet instant, la chance ne cesse de leur sourire. Ils remontent rapidement la pente, enchaînent tournées, cachets mirobolants, et numéros gagnants à la roulette. Et entre eux ? Pas grand chose. C’est platonique complet : on ne mélange pas le travail avec le cul, ni les couteaux avec les petites culottes. D’autant que le numéro fait lourdement office de métaphore sexuel, Adèle poussant de stupides soupirs suggestifs chaque fois qu’un couteau pénètre dans le mou de la cible, à quelques millimètres de son corps.
Pourtant, si l’on ne marche pas cette fois-ci à la fiction qui nous est proposée, c’est pour les raisons qui nous avaient déjà déçues dans l’hyper-maniéré Mari de la coiffeuse. Comme ce dernier, La Fille sur le pont est entièrement phagocyté par le « chic », défaut qui guète fréquemment Leconte et dont il devrait se méfier. Le « chic » n’a rien n’a voir avec de l’élégance. Le noir et blanc tape-à-l’œil, la photo « glacée » comme dans les magazines, l’esbroufe d’un montage serré, le « revival » années folles, c’est du « chic ». Et le « chic » sonne souvent creux, car il n’est là que pour habiter le cadre et donner un semblant de vie, en vain, à une intrigue bien maigrelette. Au fond, cette Fille sur le pont, malgré une bonne idée de départ (mais une fin totalement ratée), n’a pas grand chose à nous offrir, presque rien à nous raconter, et le maniérisme de sa mise en image ne fait qu’étayer et renforcer cette impression.