On connaît de Karel la tendance obsessionnelle à jouer avec les images d’archives. La Fille du juge n’échappe pas à la règle et reprend dans ses grandes largeurs le roman de la fille du juge Boulouque, saisi des dossiers des attentats qui ensanglantèrent Paris en 1986 avant de se suicider quelques années plus tard, écrasé par une machine judiciaire soumise à la sinistre raison d’Etat. Des faits eux-mêmes, et de ce qu’ils renvoient à l’actualité, voire à une tendance assez forte du cinéma français récent à affronter des sujets difficiles (J’ai vu tuer Ben Barka, Caché, La Trahison), le cinéaste n’oublie rien, trouvant en mille occasions l’image juste, le détail photographique adéquat, traces d’un passé médiatique remonté des abîmes de l’oubli.
Mais plus encore que le docu-thriller qu’il est aussi, façon Dossiers de l’écran, La Fille du juge est avant tout un très beau mélodrame autour de la figure centrale de la fille de Boulouque, Clémence, dont la voix narrative conduit le récit avec une sensibilité devant beaucoup moins au docu-fiction que le film singe d’être par son déroulé à suspense qu’au journal intime rétrospectif, forme fragile, un peu molle, qui menace à chaque instant de laisser le potentiel informatif d’un tel projet en plan. Ce sont les passages simples, bouleversants, des moments en famille, illustrés par des photographies ou des extraits de films personnels, et que porte la voix-off d’Elsa Zylberstein.
Le film joue avec une belle maestria de ce filtrage du politique par le souffle du sensible et de l’affectif, flirtant parfois avec une complaisance un peu Real TV (Mistral gagnant de Renaud plaqué sur des photos de famille), mais garde jusqu’au bout intacte l’acuité du regard posé sur des événements dramatiques : l’utilisation comme monnaie d’échange du sinistre Wahid Gordji, personnage-clé dans l’affaire des attentats parisiens, pour faire libérer les otages français au Liban. Etrange film, donc, où l’intime et le général se croisent sans jamais se neutraliser : c’est la force de cette Fille du juge, forme lourde pour approche incroyablement fine et précise d’un sujet tentaculaire.