Depuis la fin de l’expérience communiste, l’Europe de l’Est n’a cessé de se chercher de nouveaux repères, notamment en direction de son passé. Ainsi, le cinéma, terrain le plus approprié aux symboliques fortes, a naturellement accouché ces dernières années de films aussi emphatiques et rassembleurs que Le Barbier de Sibérie ou Pan Tadeusz. La Fille du capitaine poursuit ce désir de ressourcement dont la portée politique éclipse totalement les éventuels mérites artistiques. Ici, il n’y aura d’ailleurs pas à chercher bien loin de ce côté-là car elles sont plutôt inexistantes.
Ca a l’air comme ça d’un gentil film épique et romantique, avec caution littéraire à la clé (il s’agit de l’adaptation de deux œuvres de Pouchkine) ; l’histoire, sur fond de guerre civile, d’une rivalité amoureuse entre deux lieutenants dans la Russie tsariste de la fin du XVIIIe siècle ; mais c’est en réalité un objet plutôt nauséabond dans le contexte de la Russie contemporaine. Le rapprochement entre le soulèvement des cosaques Yaïk, toile de fond du film, et celui des Tchétchènes pourra sembler facile, mais tellement évident quand on se rappelle par ailleurs que nombre de cinéastes russes s’étaient ralliés en avril dernier à la croisade nationaliste du fort peu sympathique Vladimir Poutine.
De là à dire qu’il s’agit d’un film fascisant, il n’y a qu’un pas… que le réalisateur s’empresse de franchir dans sa note d’intention, dont voici un extrait : « Je pense que le jeune Griniov (l’un des personnages du film, ndlr) est un héros de notre temps et une figure emblématique des jours sombres que nous traversons, car il reste fidèle à son amour tout au long d’un massacre fratricide, et obéit sans fléchir aux commandements de l’honneur et de la conscience. Or, notre époque attache aussi peu de prix aux valeurs morales que celle de Catherine II (…). Des jeunes gens comme Griniov sont le ferment d’une résurrection morale qui portera ses fruits au siècle suivant (…). » Soyons désinvoltes, n’ayons l’air de rien.