L’ouverture donne le ton : ambiance film noir version XXIe siècle -à ne pas confondre avec le néo-polar, genre plus chahutant. Ici, on reste sage, produit à l’ancienne, avec la malice pour seule modernité. S’il n’y avait pas les bagnoles derniers cris, on se croirait facilement dans un bon vieux Columbo. Nul lieutenant fripé cherchant La Faille, juste un jeune avocat carriériste (Ryan Gosling, bonne tête à claques) jouant les casseurs de crimes parfaits. Sa nouvelle mission paraît super fastoche : prouver qu’Anthony Hopkins a tiré une balle dans la tête de sa femme dont il venait de découvrir l’adultère, ce qu’il confesse à la police qui vient l’arrêter sur les lieux du crime, revolver à la main. Las, à part le jeunot, chacun connaît l’intelligence supérieure du vieux pervers, lequel avait tout prévu pour se venger, sortir par la grande porte et humilier la justice.
Il est toujours ennuyeux de confondre intelligence et construction intellectuelle : La Faille vérifie platement l’adage. Sa banalité a ceci de pervers qu’elle rappelle l’inanité absolue de la pirouette, stimulus sympathique plus que mouvement à part entière. Une fois la devinette terminée, rien, le néant total, autodestruction après visionnage. Hopkins lâche un « merde » en gros plan, son adversaire sourit en coin, voilà, rideau. Petite gêne quand même, Hoblit, faiseur absolu dans l’affaire, n’a pas d’autre choix que de s’arrêter comme ça. De filmer un point final, d’enregistrer un réflexe plus qu’une réflexion (« fait chier ») puis de contrebalancer par un autre (de réflexe), logiquement symétrique (« cool »). Entre les deux ? Rien ou si peu : l’orgueil tue, faites comme Gregory Hoblit, n’existez pas, vous serez plus tranquille.
On glosera longtemps sur Anthony Hopkins et sa capacité à faire fructifier sa Hannibal Lecter attitude, prédateur super classe dont le charisme suffit à écrabouiller tout le monde. C’est vrai, le film vaut surtout pour lui, sa manière de patiner sa propre palette, d’insuffler à la suffisance une gourmandise délicate. Rares sont ceux qui ont réussi cela avec autant de sobriété. Quand Eastwood (Space cowboys) ou Nicholson (Les Infiltrés) cassent du jeune, c’est pour rester en place, rayonner. Trop paresseux, trop cynique, Hopkins ne sait pas vraiment lui-même pourquoi il dérange, mais ça l’amuse. L’hommage n’en reste pas moins convenu, tant le film lui laisse peu d’espaces : contrairement à Hannibal, on le sait blessé, vengeur, cocu. Le cerveau d’Hopkins est pris en otage par la rationalité du script plutôt que le contraire, ce qu’un Columbo (et ses suspects) parvenaient tout naturellement à dépasser. « Merde ».