Les années passent et toujours rien de neuf à l’horizon chez Francis Veber, arc-bouté à son manuel du succès. Il faut voir la manière dont il vend La Doublure, son nouveau scénario en images, pour constater ce terrible statu quo : même façon de se positionner en mécanicien du rire, entre bon sens populiste et précision d’horloger, même volonté depuis quelques temps (Le Placard pour ne pas le nommer) de revendiquer une étiquette plus ambitieuse que celle d’implacable tâcheron des zygomatiques. Médiatiquement, Veber a désormais un visage (sa photo apparaît au générique de La Doublure), un mythe (François Pignon), il cite Lubitsch ou Hawks, se paie un star pour chaque rôle même si celui-ci fait trois minutes. Car malgré la sécheresse du style, l’immuable rigorisme des scénarii, il existe chez Veber une envie d’épater la galerie, de brûler le cierge par les deux bouts tel un nouveau riche. Dans La Doublure, c’est encore plus criant que du temps du Jaguar, dont le tournage à grands frais en Amazonie avait fait grincer des dents : il y est question de bagnoles de luxe, d’hôtel particuliers, de grands patrons et de top models.
Autant de pognon ne va toutefois pas enfreindre la sacro-sainte tactique veberienne. Pignon est cette fois-ci un brave voiturier embauché par le mari d’une milliardaire pour masquer sa liaison avec un mannequin célèbre. Ils devront mettre en scène un simulacre de vie commune pour tromper l’opinion publique et du coup celle de la femme cocufiée. Au delà du vaudeville classique, il y a la couche Pignon : il se fout de la créature de rêve et voit son propre couple mis en péril, son entourage ne revient pas d’une telle idylle, parents et meilleur ami en tête. A tous les coups l’on doit rire et c’est sans doute pourquoi on ne rit pas. Car dans cette Doublure, tout est doublé justement : blague de secours, vaudeville de secours, personnage de secours, rien n’est incarné, le système existe pour le système.
D’où une paradoxale précarité particulièrement dévastatrice. Question de rythme d’abord : Veber installe une frénésie aussi brillante que stérile. Action et réaction fusionnent, le rire s’étrangle et même si le temps passe vite, on s’ennuie, contraint de voir se succéder un listing d’équations comiques. Question de mise en scène tout bêtement : sans autre timing que la vitesse à tout prix, rien ne prend racine dans ce Mastermind de situations et si Veber dispose d’un casting royal, il n’a confiance qu’en son texte. Rarement les acteurs n’ont été aussi vidés de toute substance, tous contraints à une pantomime monocorde, souvent obligés de se traîner au film comme un poids mort. La Doublure est pour eux littéralement superficiel et justement, la surabondance de moyens ne fait que rajouter au désastre. Au moins Veber était-il plus efficace lorsqu’il ne visait que la sécheresse du temps de sa splendeur des années 80. La vanne était fignolée mais jugulée, les personnages finissaient par se déployer, rebondissant l’un contre l’autre dans le carcan du buddy movie. Ici le déséquilibre est patent : d’un côté une méthode inusable et fière de ses effets dégraissants, de l’autre un besoin de tout embrasser, le riche et le pauvre, la rêve et le réel, le burlesque et la satire sociale. Mathématiquement c’est clair, net et sans bavure : la Doublure est un film parfaitement raté.