Avec Eden lake, survival assez cruel, dernier chapitre en date de la nouvelle horreur anglaise (après Creep, The Descent et Wilderness), James Watkins était à peu près parvenu à retrouver le profond malaise de ses modèles seventies américains. Après ce film de sueur, de boue et d’ordure, d’une violence traître, tout en petits coups de couteau sournois et imprévisibles, La Dame en noir annonce une terreur plus fine et cérébrale, puisque gothique, toute en manoirs hantés et tristes soupirs, marais brumeux, stèles et feuilles mortes. Ce deuxième long-métrage est en outre l’occasion de deux petits événements : celui d’être, dans le plus pur style qui fit sa gloire dans les années 50 et 60, une production Hammer ; et celui de marquer un nouveau départ pour l’acteur qui incarna Harry Potter de 2001 à 2011, Daniel Radcliffe. Pour celui-ci, le changement n’est pas si radical : l’univers du petit sorcier, comme on le sait, puise en partie sa source dans le genre gothique, et depuis quelques années serpentait de plus en plus, quoique de façon limitée, vers la noirceur adolescente. La Dame en noir promet donc au moins d’éviter l’écueil du contremploi faussement régénérateur.
Dans l’Angleterre post-victorienne, Arthur Kipps est un jeune papa qui porte le deuil de sa femme, pense au suicide et boit du scotch. Sa fonction de notaire le contraint à se rendre dans un village reculé, afin de régler la succession d’une vieille femme morte il y a peu. Tandis qu’au village des enfants meurent bizarrement, Kipps, dans la maison, est constamment dérangé dans son travail par des bruits de pas et grincements suspects, se lève plusieurs fois de sa chaise pour aller inspecter, à la bougie, les chambres et les couloirs. Sur le strict registre de la terreur, le film de Watkins traîne sérieusement la patte : hormis deux-trois moments vaguement inquiétants, et manifestement inspirés par Hideo Nakata, le cinéaste nous sert de la brusque apparition à la louche, des platées d’effets sursauteurs, cette peur basse qualité qui voudrait faire croire qu’un arc réflexe est une émotion. Dans La Dame en noir le sang ne fait qu’un tour, pas un de plus.
L’intérêt du film est ailleurs : précisément dans ce qu’il a à raconter de son acteur principal, et de ses premiers pas hors de Poudlard. Après dix années du même régime, que reste-t-il aujourd’hui du petit Radcliffe, dont la croissance même fut potterisée et qui se décrit déjà, malgré son encore jeune âge, ex-alcoolique ? Première scène de La Dame en noir : trois fillettes jouent innocemment à la poupée, lorsqu’elles lèvent les yeux vers la caméra, comme hypnotisées par le regard que le spectateur porte sur elles. Regard létal : après un long moment elles se lèvent puis, écrasant de leurs souliers plats dinette et poupées, s’avancent vers la fenêtre et se jettent dans le vide d’un seul geste. C’est un film où les enfants regardent Radcliffe d’un drôle d’oeil, et vont souvent par trois, comme les trois héros de J.K. Rowling. Dépouillés de leur innocence, ils ont déjà un pied dans la tombe, il n’y a à tirer d’eux que de la vase et du sang : plein de vase, le corps d’un petit garçon repêché par l’ex-Harry, pleine de sang, la bouche d’une petite fille empoisonnée. Tache rouge, également, sur le jupon de la femme de Radcliffe morte en couche, donnant la vie à un fils qu’il délaisse – mais qui pouvait de toute façon croire à la paternité de l’enfant star ? Intenable âge adulte, enfance perdue, Radcliffe s’égare dans des limbes que Watkins filme avec une certaine poésie (cf. la belle scène du brouillard, dans lequel résonnent des cris d’enfants et d’adultes). Harry Potter lui a pris l’essentiel, mais le quitter est une déchirure : vu sous cet angle le film se pare d’un romantisme désespéré, et offre à l’acteur, si limité soit-il, un beau rôle de transition.