James Ivory ne suscite plus guère de controverse. Etiqueté une fois pour toutes comme figure de proue de l’académisme cinématographique dans ce qu’il a de plus navrant, le pauvre bougre voit ses films passer un à un à la trappe d’une critique lassée par sa pléiade d’adaptations littéraires dites de prestige et par ses biographies mollassonnes. Il faut dire qu’après avoir fait un temps illusion auprès des lecteurs de Télérama, qui eux seuls pouvaient se délecter de son triptyque forsterien (Chambre avec vue, Maurice, Retour a Howard’s End), le réalisateur avait aligné sans vergogne une série de sérieux échecs artistiques et commerciaux (Jefferson à Paris, Surviving Picasso, La fille d’un soldat ne pleure jamais).
Nullement découragé, il revient aujourd’hui (sans qu’il ait vraiment eu le temps de manquer à qui que ce soit) avec cette Coupe d’or, fruit d’une énième collaboration avec sa scénariste fétiche Ruth Prawer-Jhabvala et son producteur de toujours, Ismail Merchant. Le film lui permet de renouer avec une époque qui lui est chère, celle de l’Angleterre edouardienne, ainsi qu’avec Henry James, auquel il s’était déjà attaqué à deux reprises : en 1979, avec Les Européens et en 1984, avec Les Bostoniennes. Cet attachement au romancier s’explique assez aisément par la fascination qu’entretiennent les deux artistes pour la culture européenne, en particulier anglaise, alors qu’ils sont tous les deux nés aux Etats-Unis et qu’on les prend souvent, à tort, l’un et l’autre, pour des sujets britanniques. Cette communauté d’intérêts et la confusion qu’elle entraîne suffisent-elle à James Ivory pour se dépasser et surprendre enfin le spectateur ? Indéniablement, non. Elle permet en tout cas au réalisateur d’épancher une fois encore son goût immodéré pour la reconstitution historique, la crinoline, la belle vaisselle et le mobilier de choix. Sa caméra caresse les fauteuils, fait la cour à l’argenterie, balaie les paysages et parfois, fatiguée sans doute, se pose sur les comédiens. Comme si, au tout dernier plan des illustrations d’un catalogue de Modes et jardins, de minuscules lutins qu’un œil non averti ne pourrait discerner interprétaient une tragédie sans public.
James Ivory ne déroge donc nullement à l’académisme dont on le taxe. Pourtant, malgré les efforts déployés par le metteur en scène pour que son film ressemble à une salle de vente aux enchères, quelque chose du génie de Henry James perce indéniablement sous le lustre des décors. La force de son récit et du complexe nœud relationnel qu’il évoque est escamotée mais pas anéantie. Au détour de quelques scènes, un véritable souffle romanesque se fraye un chemin jusqu’à l’écran. Dans ces moments-là, le film existe un tant soit peu en tant que tel. C’est que, six pieds sous terre, Henry James demeure plus vivant que son adaptateur. Rappelons qu’il est l’auteur d’une nouvelle intitulée L’Autel des morts, dont Truffaut s’était inspiré pour La Chambre verte. Mais James Ivory est-il sensible à l’ironie ?