La Chatte à deux têtes est le nom d’un film que l’on ne verra que par bribes dans celui de Jacques Nolot, qui en est en quelque sorte le contrechamp. C’est en effet le titre d’un porno projeté un soir dans un ciné parisien où des quidams entrent et sortent, racolés par les nonchalants travelos qui hantent la salle. Jacques Nolot a relevé avec discrétion et modestie un pari audacieux : construire un film en temps réel, pendant la projection d’un autre et faire d’une salle de cinéma un décor unique.
La Chatte à deux têtes nous parle du désir dans son expression la plus triviale, ignorant toute pudeur et par là-même à mille lieux de tout voyeurisme. Jacques Nolot ne cherche pas à faire sensation en montrant des travestis besognant les spectateurs anonymes. Il nous laisse entrevoir certaines solitudes, une misère sexuelle exprimée ici sans honte, dans l’obscurité de la salle et dans ses recoins. L’effet produit est étrange, insidieux, la familiarité du cinéaste avec ses acteurs et figurants nous interdit de les juger, ni même de les envisager comme des types humains. Leur présence dans la salle -dans un même désir qui les confond très démocratiquement- les rend égaux, à défaut de les rapprocher. La distance subtile avec laquelle Nolot les observe est d’une parfaite honnêteté, car c’est elle qu’il adopte aussi vis à vis de lui même.
En effet, le cinéaste se met en scène avec un naturel insolent, très à l’aise parmi cette faune, interprétant un écrivain homo torturé par une séropositivité déjà ancienne. Tandis qu’une caméra baladeuse suit dans la salle la valse des plaisirs furtivement négociés, la caissière entre deux âges se confie à un jeune projectionniste, fraîchement débarqué de province. Dialogue d’une fraîcheur et d’une drôlerie d’autant plus méritoires qu’il ne trahit pas le contexte, ne cherche pas le décalage comique. Nolot s’épanche à son tour auprès de la caissière, lui confie sa peur de la mort et sa peur de vivre. S’installe alors une drague triangulaire entre les deux quadragénaires et le novice, étrange et poétique marivaudage qui confronte ces personnages à la persistance de leurs désirs, et les entraîne bien au-delà du sordide. L’aube se lève sur les décombres de la nuit -une moquette jonchée de mégots et de kleenex usagés- mais augure d’un commencement, une joie possible à court terme. Noir, désabusé, mais plein d’humour et de justesse, La Chatte à deux têtes émeut bien plus qu’il ne choque…