Il est facile de voir, dans La Bête de miséricorde, un navet proche du je-m’en-foutisme absolu. Pas plus l’histoire (un serial-killer illuminé par la Vierge massacre de pauvres dépressifs pour les soulager du poids de la vie) que la mise en scène, plus lâche que dans un film de Jean Rollin, ne laissent le moindre doute. Mocky, moins cinéaste que chansonnier de faubourg (sa présence dans le rôle du tueur n’est pas qu’anecdotique), est plus là pour nous marteler son discours de vieux païen corrompu que pour donner une quelconque leçon de cinéma.
Ce qui trouble néanmoins, ici comme dans les précédentes pochades du réalisateur, c’est cette faculté à emporter le spectateur malgré lui dans une histoire sans intérêt par le recours à des bidouillages de vieux renard : bagout des dialogues, truculence presque incongrue des interprètes (Menez et Berroyer composent un duo parfaitement jubilatoire), filmage de proximité qui donne aux objets, aux lieux, aux figures, cet étrange sentiment de connivence avec le réel que l’on peine tant à trouver dans le cinéma français contemporain. En filmant la banlieue (RER, arrêts de bus, parcs, longues allées désertes), ses petites gens (voisins, gendarmes, cousins), Mocky parvient à quelques scènes inespérées qui doivent autant à la nonchalance de sa réalisation qu’à cette façon presque systématique de refuser tout effet d’enjolivement. L’intrigue elle-même montre bien que ce qui compte, ici, n’est pas la progression dramatique -on se moque complètement de l’enquête menée par les deux zozos-, mais ce souci d’équilibre et d’égalité qui donne aux choses filmées, des scènes les plus grotesques aux saynètes les plus anodines, une unité et un vrai sentiment d’harmonie. Par la petitesse de son point de vue univoque, par la grossièreté même de son dispositif, La Bête de miséricorde donne ainsi à voir une réalité sans commune mesure avec les habituels exercices stylisés du film de banlieue traditionnel.
On voit très vite où Mocky veut en venir, trop vite sûrement pour accorder le moindre intérêt à ses « messages » (vague margouillis de paganisme réac), mais c’est aussi ce qui fait la relative force du film. Sur les poses distendues, l’apparente fumisterie, les dérives lâches de la réalisation flotte un regard toujours en état de veille qui prend en charge tout le récit. On ne sait pas trop ce qu’il nous dit, ni trop bien comment il y parvient, mais une chose au moins est sûre : on donnerait à Mocky le bon Dieu sans confession.