Les incursions documentaires de Chantal Akerman, davantage que ses fictions, traduisent souvent une collusion féconde entre le politique et l’intime. Récemment récompensé au FID de Marseille, Là-bas ne déroge pas à cette règle et radicalise même cette position. Film de claustration, film de dépression de la même manière que De l’autre côté ou Sud allaient à la rencontre de l’autre tout en étant des odyssées intimes, Là-Bas est presque exclusivement construit autour d’un seul et même point de vue : celui d’une chambre à Tel-Aviv, tandis que hors champ on entend les discussions téléphoniques de la cinéaste, ses mouvements dans la pièce, et que devant nous, à travers les stores, une vie minimale s’agite mollement dans les immeubles voisins. Les attentats, la guerre, le conflit israélo-palestinien nous parviennent comme des bribes inquiètes, à la fois proches et lointaines, rumeurs et menaces sourdes qui n’empêchent nullement le petit théâtre dépressif off, comme les anecdotes étiques des mouvements du voisinage.
Là-bas est nourri de ce point de jonction entre la douleur intime et la douleur des peuples (l’histoire familiale de la cinéaste, son enfance dont elle nous distille le récit), en même temps qu’il signe irrémédiablement leur impossible coïncidence (la chambre et le plan quasi unique comme repli sur soi). Néanmoins, nul retour aux racines pour pallier l’instabilité des temps. Plutôt une façon de trouver en soi les clés d’un monde qui semble toujours à deux doigts de disparaître et dont les images du voisinage sont pareilles à des mirages. Là-bas est peut-être cette fable contemporaine sur l’individu cloîtré, incapable de mouvements, tandis qu’au dehors gronde un sourd chaos qui le dépasse. Pourtant du film émane aussi quelque chose de potentiellement serein, une possible rémission. Entrer en soi, rester cloîtré aura peut-être servi à se libérer du poids des choses, comme l’indiquent les rares plans de plage.