De cet Outremangeur, on pouvait craindre le pire : un Eric Cantona maquillé en freak sorti d’une mauvaise blague des frères Farrelly dans un film présenté comme un drame très sérieux, un cinéaste dont le seul coup d’éclat fut de réaliser La Bicyclette bleue pour France 2, et surtout la tentative très aléatoire d’adapter sur grand écran une bande dessinée à succès du duo Benacquista / Ferrandez (souvenons nous du sympathique mais ringardissime Nouveau Jean-Claude l’année dernière, sur un même registre). A partir d’une intrigue pesant plusieurs quintaux -un commissaire de police obèse tombe amoureux d’une meurtrière (apparente) et la force à assister à ses repas du soir pendant un an en échange de son silence- Binisti nous livre un singulier petit ovni.
D’où vient la sympathie qui se dégage de ce film alors même que son idée principale (prendre Cantona, rescapé de l’atroce Mookie, en lieu et place d’un véritable obèse et le grimer à outrance) semble plus tenir du « coup » que de toute précaution artistique ? De Canto, paradoxalement, qui parvient par un naturel enjoué et jamais m’as-tu-vu à faire passer la pilule de façon stupéfiante : alors que les scènes de « grande bouffe » flirtent avec le plus complaisant pathétique, un petit pont de l’artiste (regard imperturbable et silencieux face à une Rachida Barakni stupéfaite) et tout devient bouleversant. De la même façon, la manière qu’a le film de suivre le fil du conte naïf et mélodramatique (la fin à la Cendrillon), de s’en remettre non pas à un réalisme glauque à la Harel mais à une sorte de petite galerie d’artifices en tous genres (Richard Bohringer en handicapé, le folklore marseillais, l’immense demeure du héros jonchée comme celle d’Edward aux mains d’argent aux confins de la ville) touchent à la pure fantaisie : légère -ce qui relève quand même de l’exploit ici- et sans la moindre prétention.
Dans le duel à distance qui oppose cette semaine Florent Pagny (Quand je vois le soleil) au meilleur joueur du siècle de Manchester United, résultat net et sans bavures : dix mille petits Flo aux mèches d’argent (le baladin de la pampa, qui transforme une tragédie en comédie de boulevard) ne vaudront jamais un poil de mollet du royal Canto, astre rebelle et solitaire, incroyablement émouvant, fut-il plombé par dix kilos de prothèses à la graisse de canard.