Outre l’invraisemblable augmentation du prix de la baguette, le passage à l’euro aura donc déprécié un actif aussi bien côté que le cinéma d’Etienne Chatiliez. Agathe Clery, son précédent film, accusait déjà un sérieux un coup de fatigue dans la petite mécanique bien huilée de son artisanat : inexistant sur son versant comique, le film était surtout totalement largué sur le plan de la satire sociale, creusant le penchant de son auteur pour les scènes en placoplâtre aux dépens de ce regard aiguisé sur l’époque qu’on lui a souvent prêté.
A l’aune de cette démonétisation, L’Oncle Charles fait figure de nouvelle station dans ce lent chemin de croix décliné en pente douce et anisettes. La France de Chatiliez, partagée entre bourgeoisie pépère et peuple malicieux – le tout arrosé d’eau de bénitier un peu croupie – y demeure un doux pays tapissé de pâturages, mené par un capitalisme familial où l’argent n’est jamais que le révélateur de nos petites veuleries. Ici, en l’occurrence, celle qui conduit à une captation d’héritage. L’oncle du titre, milliardaire misanthrope qui a fait fortune dans le rugby business en Nouvelle-Zélande, souhaite ainsi retrouver sa sœur abandonnée quarante ans plus tôt en France. Au lieu de quoi, la clerc de notaire chargée de retrouver sa trace lui invente une héritière avec l’aide de la petite cellule familiale qui l’entoure. A l’arrivée, si l’argument semble idéal pour les saillies satiriques de Chatiliez, inversant classiquement les polarités entre salauds de riches et misérables petites gens, il ne dépasse jamais sa petite escroquerie de départ, prétexte à des malentendus si prévisibles qu’on ne les voit pas passer.
Si l’extraordinaire paresse du scénario est pour beaucoup dans ce ratage, il faut aussi noter surtout combien l’univers de Chatiliez semble terriblement daté : dès son premier film en 1987, son idée du pays lorgnait déjà plus de vingt ans en arrière. C’est qu’en cinéaste formé à la publicité, il n’a jamais considéré la société qu’il brossait autrement que comme une marque ultime. Chatiliez cinéaste a pris le relais de Chatiliez publicitaire pour ne plus vendre qu’un seul produit : la France des années soixante, celle qui roule au super, commande des œufs mayo dans les bistrots et croit encore au Dubon, Dubonnet. Il faut reconnaître à ce goût d’une époque filmée comme une petite mythologie barthesienne un vrai trait d’auteur raccord avec son obsession pour les questions de naissance et de parenté. Cette célébration du désuet lui a aussi longtemps permis d’amortir la méchanceté ricanante de son regard par une tendresse pour la petitesse de ses personnages.
Mais cette méchanceté bonhomme s’est perdue au cours de la dernière décennie par manque d’incarnation : à l’exception de Valerie Bonneton dont l’extraordinaire bouffonnerie glacée sauve quelques scènes du film, tout les comédiens de L’Oncle Charles se montrent incapables de trouver le ton juste, comme s’il était devenu impossible de se couler dans cette vision trop nostalgique. C’est qu’un saut de génération a finalement eu lieu et qu’avec lui, la France rêvée de Chatiliez n’a plus trouvé d’attaches avec son époque. Sans plus de filiation, cet univers a dérivé vers le simple motif de tapisserie qui l’a toujours guetté, jusqu’à n’être plus le sujet de rien. La comédie étant une mécanique de précision, on est bien obligé de conclure que celle de Chatiliez a fini par se gripper, dans un pays où le franc germinal a disparu des bas de laine.