Des coups de feux, une femme fatale abandonnée par son amant, un mari mort, un policier qui tombe sous les charmes de la principale suspecte, un homme amnésique qui ressurgit du passé… tout porterait à croire qu’on se trouve en face des Tueurs de Robert Siodmak ou autre Angel Face de Preminger. Hélas, il me faut bien vous l’avouer, ce n’est que du nouveau film de Valeria Sarmiento qu’il va être ici question.
L’intrigue tarabiscotée qu’on doit à Raoul Ruiz -son compagnon dans la vie pour les amateurs de ragots mondains- n’a rien en soi qui puisse déplaire. Et puis, on ne le répétera jamais assez, un scénario ne fait pas un film, pas plus dans un sens que dans l’autre. Et justement c’est peut-être là le hic. Car pour ce qui est du cinéma -mise en scène pour la Nouvelle Vague critique, cinématographe pour Bresson- Valeria Sarmiento ne semble pas avoir le début d’une idée. Résultat : tout miser sur l’ambiance. Vous savez… la lumière déclinante aux reflets mordorés, la petite musique étrange qui revient toutes les cinq minutes frapper à vos oreilles, et l’intrigue quelque peu obscure. Mais que se passe-t-il donc devrait se questionner à chaque retournement de situation le spectateur, s’il n’avait depuis longtemps sombré dans un profond sommeil.
Bien qu’elle ait, paraît-il, fait ses classes de monteuse chez Ruiz, Kramer, ou quelque doyen du cinéma tel Luc Moullet, Valeria Sarmiento ne semble même pas avoir appris à construire le rythme d’un film. Puisqu’il s’agissait apparemment de faire un Usual Suspect à la sauce européenne, ceci eut été la première des choses à prendre en compte. Mais c’est bien connu : nous n’avons pas le professionnalisme des requins hollywoodiens. Quant au reste de la mise en scène, elle est d’une banalité effrayante, rivalisant avec les téléfilms que France 2 ose encore, chaque semaine, servir à ses malheureux spectateurs. En guise de mise en scène la chère Valeria se contente d’une illustration sans goût et surtout, ce qui est beaucoup plus grave, sans une idée de cinéma. En cinq mots cela fait : pas un plan à sauver. Alors vous me répliquerez sans doute une lueur suspecte brillant au fond de votre prunelle : « et Ornella Mutti ? ». Là, je devrais encore détruire vos illusions : savez-vous au moins quel âge elle a à l’heure qu’il est ?
Toute l’originalité de L’Inconnu de Strasbourg réside dans son intrigue à tiroirs et une fois ceux-ci ouverts, nous constatons qu’il n’y a rien. Chez Ruiz, de telles intrigues sont généralement révélatrices de la schizophrénie du personnage central, tout le film s’articulant autour de son aliénation à quelques images du passé ou aux fruits de son imagination. Et la mise en scène elle-même est subordonnée à la maladie de ses personnages : d’où les teintes prononcées de l’image, les distorsions de celles-ci. En faisant du « Ruiz light », Sarmiento s’exile du cinéma. Car faire durer ses plans trop (beaucoup trop) longtemps n’a jamais été synonyme de mise en scène, et cela n’a jamais contribué à ajouter au mystère de l’intrigue. Il faudra s’en souvenir la prochaine fois.
Certains films sont des objets étranges, originaux et dont la nature, tout en reflétant le monde, s’apparente uniquement à leur médium. D’autres, prétendent à cette originalité et, oubliant d’où elle peut venir, ne sont que des objets insignifiants ou boursouflés. L’Inconnu de Strasbourg est de ceux-là. De ces films qui voudraient nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Si Madame Sarmiento faisait plus de mathématiques, peut-être saurait-elle résoudre ses équations cinématographiques à plusieurs inconnues.