Un film de pirates à la française, pourquoi pas au fond. La comédie d’aventure est depuis longtemps une tentation du cinéma franchouillard, de La Grande vadrouille aux farces soixante-huitardes de Coluche type Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine. Mais plutôt que de se reposer sur une tradition, voir même une réminiscence, L’Ile aux trésors tente une troisième voie dégénérée et biscornue. Très vite, on comprend tout : que le film d’Alain Berbérian avancera toujours en marche forcée, jamais serein nulle part, pas même dans le cynisme qu’il voudrait manier comme Sergio Leone. Et que Jugnot mettra en sourdine ses piaillements de super Dupont, que Jean-Paul Rouve, Robin des bois starifié sur un malentendu (Monsieur Batignole de son parrain Jugnot, où il jouait un collabo), possède bel et bien un éventail de trois expressions et demie.
Mais la mise en scène emporte la palme de l’horreur. Rarement caméra n’a vendangé un scénario avec autant d’abnégation. A ce niveau d’incontinence dramatique et de patratasme, on frôle le traquenard pur et simple. On ne pouvait pas s’attendre à du génial de la part de Berbérian, mais on pensait compter au moins sur son métier -après tout, La Cité de la peur, Paparazzi voire L’Enquête corse témoignaient d’un professionnalisme de faiseur plutôt rare dans le divertissement d’aujourd’hui. Hélas, L’Ile aux trésors semble gribouillé par un stagiaire hystérique et mégalo. Ecartelé entre le respect des conventions (acteurs, costumes, lyrisme aventurier, caméra qui tangue au gré des flots) et un esprit subversif clouté au cahier des charges, le style reste pendu à un piétinement épileptique empli d’aigreur.
La méchanceté ici est paralysante parce qu’indéfinissable (ni parodique, ni ironique, ni punk, pas même franchouillarde), épaississant le complexe du cinéma français à l’égard d’Hollywood : elle empêche toute incarnation possible (les personnages, soit grotesques, soit réduits à l’état de portes manteaux), et sclérose le moindre soubresaut d’action. Berbérian ne se laisse jamais aller au plaisir de l’aventure, il sue comme un boeuf rigolard à la moindre figure imposée. Filmer un galion souquant ferme au large ne relève pas du panoramique tranquillou mais du tournicoti tonitruant avec zoom final sur pavillon à tête de mort, comme un générique de Koh-Lanta. Sommet de ce détraquement : la séquence de cannibalisme où le personnage de Jean-Paul Rouve disparaît d’un coup sec du récit, dégusté par un Robinson Crusoë en manque de viande. On distingue la face rôtie de l’acteur, arborant un rictus atroce, puis quelques plans troubles (ses organes ? sa chair cuite ?) sur des braises rougeoyantes, comme les lambeaux d’une crise d’adolescence avec no future en ligne d’horizon.